On était à nouveau installé dans mon salon, moi calée au fond d'un fauteuil de designer de ma mère, Kat et Dray avachis sur le canapé. J'avais pris le temps de me laver de tout le sel que l'océan avait déposé sur ma peau, et Dray avait commandé des sushi, manifestement assez à l'aise avec l'idée de dépenser un argent qui n'était pas le sien – parce que c'est moi qui ai payé le livreur, à son arrivée. Certes, c'était avec la carte de ma mère, mais enfin, ça reste assez inélégant de sa part.
Maintenant qu'on avait mangé et qu'on avait pris le temps de se détendre, rien ne s'opposait à ce qu'on ait cette fameuse discussion au sujet de leurs multiples bizarreries.
Mais elle ne venait pas.
À la place, Dray était renversé en arrière et observait avec une minutie apparente les détails du plafond. Kat, elle, me posait des questions sans intérêt sur ma vie en Californie.
« Et donc, tu, euh... Tu vas souvent à la plage ? »
Je savais qu'elle se fichait bien de la réponse. Ça se voyait dans son regard : elle cherchait juste un moyen de repousser l'inévitable.
Fatalement, c'est moi qui ai dû initier la discussion.
« Comment ça se fait, qu'on ait des pouvoirs, comme ça ? »
Dray s'est redressé brutalement, et Kat reposa le verre d'eau qu'elle avait porté à ses lèvres.
« Et bien... C'est une question de volonté, dit-elle. Rien n'est impossible, si on est capable de se le représenter avec suffisamment de force.
-Il faut avoir une bonne capacité de concentration, aussi, compléta Dray. Et, dans une certaine mesure, être conscient de son statut fictionnel. »
Un silence suivit ces derniers mots, et je les vis échanger un regard discret.
« Qu'est-ce que vous entendez par là, exactement ? Si je n'étais qu'un personnage d'une histoire, je ne serais pas là pour vous parler non ? Je veux dire : je suis, j'existe, c'est indubitable, ça, non ?
-Descartes ? Murmura Dray en arquant un sourcil.
-Je pense que tout le monde est, d'une façon ou d'une autre, un personnage de fiction, explica rêveusement Kat. Les gens se racontent des histoires sur eux-mêmes, et ils y croient sincèrement. Ils n'agissent jamais que dans le cadre de ces petits romans personnels qu'ils écrivent et réécrivent chaque jour pour leur propre compte.
Nous aussi, dans une certaine mesure, nous avons tendance à être comme ça. Mais à côté il y a d'autres entités qui tracent les lignes de nos destinées. Elles nous laissent parfois des indices, au fil de la narration. J'en ai collecté suffisamment, au cours de mes voyage, pour me faire une assez bonne idée de ces gens-là. »
Je la regardais, perplexe. Vu comment elle scrutait mon visage en retour, elle s'attendait à ce que je prenne la fuite à tout moment pour draguer un nouveau garçon.
Je trouve ça très injuste : je suis capable de me renouveler, quand même. Elle devrait voir mes outfit, elle comprendrait.
Je ravalai ma remarque, et posai une nouvelle question :
« Et vous, vous venez d'où, exactement ?
-Dray est anglais, comme il aime à le faire remarquer régulièrement. Moi, je viens du fin fond de la campagne...
-Ce n'est pas l'objet de la question, la coupai-je. Vous êtes apparus dans un éclat de lumière, je te rappelle : vous étiez où, avant ? »
Dray regardait Kat intensément. Manifestement, elle n'avait pas le droit à l'erreur, quand elle composait ses réponses.
« Dans... Une autre histoire. On change assez régulièrement de dimension fictionnelle, en fait, parce qu'on cherche un moyen d'arrêter Lord B.. Il en a aussi après nous, comme tu as pu le voir cet après-midi : le requin-calamar géant était un de ses envoyés. On l'a arrêté un moment, mais il finira par revenir à un état de conscience normal, et il ira faire son rapport à son maître.
-Ce que Kat essaie de te dire, c'est qu'on ne doit pas rester ici trop longtemps, sinon on va se faire repérer par Lord B., fit Dray. On pense que tu as le potentiel pour nous aider à le battre, alors il faudrait que tu viennes avec nous, et qu'on te forme en même temps qu'on continue à le pister. Après ça, on lui fait sa fête, et tu es libre. »
Il avait débité son laïus à toute vitesse, espérant peut-être qu'il aurait l'air moins brutal s'il ne me laissait par le temps de réfléchir à ce qu'il disait, mais c'était raté. Il avait plutôt produit l'effet inverse, en vrai.
« Écoutez, je veux bien croire à ce que vous racontez, mais... Ça ne veut pas dire que je vais partir avec vous. J'ai une vie, ici, quand même. »
Dray leva les yeux au ciel, manifestement peu convaincu par l'attrait d'une existence qui impliquait de croiser Chad sur une base régulière. Dans le fond, je voyais pourquoi.
« Tu n'as pas besoin de les quitter pour toujours, Francesca, dit Kat. Il sera tout à fait possible de revenir, et le temps ne se sera écoulé que lentement. Rien de crucial ne pourra arriver en ton absence, tu es l'héroïne. »
Tout cela me semblait beau, mais j'avais quand même l'impression de passer à côté d'un point important.
Comme pour appuyer cette idée, la sonnette retentit.
Cette fois-ci, Kat et Dray me suivirent jusqu'à la porte, que j'essayai d'ouvrir avec décontraction malgré leurs regards perçants dans mon dos.
« Je ne vais pas m'enfuir » soupirai-je en leur faisant signe de s'éloigner.
« Euh, bonjour Frances'. »
C'était Vanessa.
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On a brisé le quatrième mur
Humor[Parodie/Humour] Alors qu'elle doit déjà gérer le début du Virginity Game et un dressing de 15m², Francesca fait une découverte effroyable : tout cela n'est qu'une fiction, écrite pour Wattpad ! Puisqu'elle n'est finalement qu'un personnage parmi d'...