Chapitre 10 : Le cadenas en plastique

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A notre arrivée chez Vanessa, la fête battait déjà son plein. L'immense maison de ses parents, toute en verre et en métal, avait été intégralement investie par une foule braillarde et déchaînée. Avec une expression dégoûtée, Dray repoussa un petit brun à l'œil vitreux qui tanguait dans l'embrasure de la porte d'entrée, et nous entrâmes.

« Francesca ! Sheylla ! »

Aiden nous avait repéré en fondit vers nous, Vanessa à son bras.

« Vous êtes venues accompagnées ?

-Oui, voici mes cousins anglais, Kat et Dray. »

Il lança un regard interrogatif à Kat : elle ne portait ni talons ni maquillage, et sa robe noire ne la moulait pas vraiment. En plus de ça, elle avait gardé ses imposantes bottes en cuir, et ses cheveux noirs étaient relevés dans la plus insignifiante queue de cheval qui soit. C'était comme si elle n'entrait pas dans son logiciel : elle n'était ni une maman, ni une putain, et pourtant elle n'était pas assez apprêtée pour qu'il ressente l'envie de la séduire.

« Vous êtes ensemble ? » Demanda-t-il à Dray, oubliant manifestement que j'avais dit qu'ils étaient mes cousins. Ça suggérait fortement qu'ils étaient de la même famille, non ?

« Je suis gay » répondit ce dernier sans autre forme de procès. Aiden eut un mouvement de recul absolument gerbant, et proposa précipitamment à Sheylla d'aller danser.

Ils s'éloignèrent tous les deux d'un pas vifs en regardant Dray avec méfiance.

« C'était pas un peu... direct, comme réponse ? Demandai-je.

-Écoute, comme ça, j'ai la paix. Sinon, il aurait eut peur que je lui vole une de ses proies et m'aurait provoqué toute la soirée. Ou pire, il aurait essayé de jouer les potes avec moi, et je ne suis pas prêt pour cette mascarade viriliste.

-Un jour, Francesca, on t'enménera dans une soirée où les gens s'amusent » promit Kat, avant de se diriger vers le bar.

Vanessa avait écouté notre échange sans prononcer un mot, avec un intérêt poli. Aiden l'avait plantée là au profit de Sheylla.

« Chad a couché avec Hannah, dit-elle d'un ton détaché. Du coup, Aiden a peur de perdre le jeu, et il a dit à tout le monde qu'il se ferait Sheylla avant la fin de la soirée. »

J'eus un frisson de dégoût.

« Je ne sais pas comment il est avec elle, mais il a passé un bon quart d'heure à me toucher les fesses, en disait que ma robe était une invitation. » continua-t-elle doucement.

Elle portait une robe rouge très moulante, et fendue sur un côté.

« Tu veux qu'on aille danser ? » demandai-je, parce que je ne voyais pas bien ce que je pouvais dire de réconfortant.

Elle accepta, et nous rejoignîmes ensemble la piste – Dray s'était évaporé sans que je m'en rende compte. Les gens nous lançaient des œillades curieuses, surpris de nous voir interagir aussi pacifiquement, mais je pris un plaisir inattendu à les ignorer. La musique était agréable, et Vanessa était une excellente danseuse. De façon assez surprenante, je passais une bien meilleure soirée que j'aurais pu le faire avec Chad, ou n'importe quel garçon.

« Ah, arrête Aiden ! Non, j'ai dis non ! »

Je sursautai : c'était Sheylla qui criait, perchée sur l'épaule d'Aiden. Il l'entraînait de force vers les chambres.

« Tu as dit que tu en avais marre d'avoir ce bracelet, non ?! Je t'offre ta délivrance, ma belle ! » s'exclama-t-il en lui claquant une fesse.

Elle poussa un cri de surprise, et tenta d'agripper le cadre de la porte dans laquelle il s'engouffrait.

« Ouais, vas-y champion ! » s'écria un des garçons.

Je sentis une colère froide me vriller l'estomac. Est-ce qu'ils s'apprêtait vraiment à forcer Sheylla dans l'hilarité générale ? Ces types passaient leur temps à minimiser la gravité de leurs actes, et ne savaient pas interagir avec une fille autrement qu'en l'agressant. C'était surréaliste, c'était...

On nageait en pleine culture du viol. Voilà, c'était ça.

J'ignore d'où me venait la connaissance de ces mots, mais il me semblèrent étonnamment puissant.
Comme s'ils m'aidaient à vraiment comprendre ce qui se déroulait sous mes yeux. Et à surpasser la sidération qui nous avaient toutes figées : je fondis sur lui, bien décidée à en découdre.

« Ça suffit, Aiden. Laisse Sheylla partir !

-Ou quoi ? Fit-il en me riant au nez. Qu'est-ce qu'une fille comme toi peut bien... »

Je ne le laissai pas finir et l'envoyai valser. Son corps décrivit une courbe parfaite, avant de s'écraser lourdement contre le mur d'en face, décrochant un tableau sous l'impact.

Un jour ou l'autre, ces types comprendraient ce que signifiait une ceinture noire de judo.

« Ce sont ces stupides bracelets, qui vous obsèdent autant ? demandai-je froidement. Et bien, on va régler ça maintenant ! »

J'aidai Sheylla à se relever, et tirai sur son bracelet. Le cadenas céda presque aussitôt, à la surprise générale. Ce soir-là, plus rien ne pouvait m'arrêter.

« Vanessa, tu veux enlever le tien ? » demandai-je furieusement.

Elle me tendit son poignet, sans un mot.

J'avais déjà retiré mon bracelet: il devait en rester trois. Sous le regard ébahi de l'assistance, tous les pions se ruèrent vers moi, et je me retrouvai en quelques minutes avec tous les bracelets encore en jeu dans la main. La musique avait été coupée, et je voyais que Kat et Dray m'observaient, accoudés au bar, en ayant l'air de bien s'amuser.

« Maintenant, c'est fini, ces conneries de Virginity Game, dis-je d'une voix forte en brandissant mon butin. Il n'y a plus de bracelets, les joueurs ont perdu, et je ne veux plus revoir ça. Le prochain qui essaie, je lui refais le portrait avec une telle violence que même sa mère ne le reconnaîtra pas. »

Il y eut une vague d'approbation, d'un enthousiasme variable – chez plusieurs personne, il était clair que c'était la peur qui parlait – mais personne n'objecta. Finalement, la menace de violence physique n'avait pas que des inconvénients, observais-je, légèrement nauséeuse.

C'en était fini de cette histoire tordue. Et manifestement, c'était moi qui avais gagné le Virginity Game.

***

J'espère que ce chapitre vous aura plu !  Le Virginity Game est clôt, mais ce n'est pas encore la fin des aventures de Francesca, que vous retrouverez dans le prochain chapitre.

C'est aussi le retour du petit point de vocabulaire, avec une notion qui ne relève pas vraiment de l'analyse littéraire mais qui est très éclairante pour analyser les œuvres culturelles en général.

La Culture du viol renvoie à des « attitudes et croyances généralement fausses, mais répandues et persistantes, permettant de nier et de justifier l'agression sexuelle masculine contre les femmes. ». Exemple typique de ces croyances : croire que les femmes ont besoin d'être un peu forcées pour avoir des rapports sexuels, parce qu'elles n'ont pas naturellement de désir . Plus répandu encore : considérer comme sain et romantique pour un homme d'insister pour engager une relation amoureuse ou sexuelle avec une femme qui a exprimé son refus. [ source & pour en savoir plus : https://simonae.fr/militantisme/les-indispensables/expliquez-culture-du-viol/ ]

Vous voyez sans doute pourquoi, à mes yeux, les histoires de Virginity Game s'inscrivent dans la culture du viol : elles présentent bien souvent des comportements qui s'apparentent à du harcèlement sexuel comme s'ils étaient romantiques. Je ne dis pas ça pour blâmer les autrices de ce genre de récit, mais pour vous inviter à réfléchir à cette question, si vous n'en avez pas encore eu l'occasion.
C'est un sujet sur lequel j'aurais beaucoup de choses à dire, donc si vous avez envie d'en discuter un peu, n'hésitez pas à commenter :)


On a brisé le quatrième murOù les histoires vivent. Découvrez maintenant