Chapitre 9 : Préparatifs

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J'ignore d'où viennent Dray et Kat, mais manifestement ils ne savent pas ce qu'implique une soirée entre lycéens branchés, surtout quand elle vient clore un arc narratif. Ils avaient l'air de croire que la journée du lendemain pourrait être consacrée à des exercices de combat – comme si j'avais le temps pour ça.

« Je suis ceinture noire de judo et de karaté, rappelai-je, je n'ai pas besoin de m'entraîner à me battre. C'est dans ma nature de gagner.

-C'est super d'avoir autant confiance en soi, Francesca, assura Kat, mais quand même, tu pourrais...

-Prends celle-ci aussi, dis-je en ajoutant une robe sur la pile de vêtements qu'elle transportait. Tu crois que le rouge pourrait jurer avec mes cheveux ?

-Le vert te va beaucoup mieux, dit-elle, mais est-ce qu'il était nécessaire de consacrer toute la journée à acheter de nouveaux vêtements ? Tu as un dressing de quinze mètres carrés, je te rappelle.

-C'est comme ça, c'est un code majeur de la Chick lit » répondis-je d'un ton sans appel, en rejoignant les cabines d'essayage.

Sheylla sortit pour nous montrer sa nouvelle acquisition. Sa robe était rose pâle, avec des petites étoiles argentées et plusieurs jupons superposés.

« Ça fait beaucoup de volants, non ? Fit remarquer Kat. C'est une fête de lycéens, pas une réception princière, vous pouvez être un poil plus sobres...

-Sobres ? Répéta Sheylla avec une expression choquée. Pourquoi pas invisibles, tant que tu y es ?

-Ne l'écoute pas, Sheylla, fis-je en accrochant mes robes dans la cabine. Tu as choisi quel diadème tu mettrais avec ta robe ? »

Kat soupira, mais elle n'insista pas. Je crois qu'elle regrettait de nous avoir accompagnées, au lieu de rester à la maison comme Dray. Je l'avais pourtant prévenue : la journée serait consacrée à préparer la soirée, et le choix de nos robes revêtait une importance suprême. D'abord parce que composer ses tenues est un des trucs les plus amusants qui soient – à condition bien sûr d'abandonner certaines idées saugrenues sur le thème de la sobriété. Et ensuite, parce qu'il était connu que l'attention que nous accorderaient les convives serait proportionnelle à notre attractivité physique. Personne ne parle à une fille qui est juste jolie, il faut être renversante.

A la réflexion, il y avait quelque chose de cruel, dans ce monde d'apparences. Je me préparais avec sérieux, mais aussi avec soulagement : c'était la dernière fois que je faisais ça. Ensuite je partais, là où on pourrait m'apprécier pour autre chose que mes qualités plastiques.

J'avais choisi une robe-fourreau bordeaux, légèrement satinée, qui m'arrivait à mi-mollet. Sheylla la trouvait mor-telle, et piaillait d'impatience à l'idée de me voir la porter avec mes escarpins argentés. Nous avons passé le reste de l'après-midi à faire des masques, nous épiler et parfaire notre manucure. Puis, quand la lumière a commencé à tomber, nous avons revêtu nos habits de lumière.

Les boucles de Sheylla encadraient harmonieusement son visage, comme toujours, et son diadème rappelait les motifs argentés de sa robe. Quand elle était passée devant lui, Dray avait toussoté quelque chose comme « Kitch », mais honnêtement, elle était charmante. Je ne pouvais pas en dire autant : je n'arrivais pas à dompter ma tignasse, et Sheylla s'était révélée incapable de me faire autre chose qu'un chignon coiffé-décoiffé. Mais toutes les filles avaient des chignons coiffés-décoiffés, j'avais envie d'autre chose.

« Je vais chercher de l'aide, finit par capituler Sheylla. Tes cousins doivent bien pouvoir se rendre utiles. »

J'étais surprise qu'elle ne remette pas plus en question la présence de Dray et Kat, mais je ne formulai pas d'objection, et elle fila.

« Ton amie croyait que j'étais maquilleur professionnel, me lança Dray depuis l'entrée de ma chambre, quelques instants plus tard.

-Parce que t'es gay ?

-Et parce que je suis anglais. Manifestement, ça suffit pour conclure que je travaille dans l'industrie de la mode. Elle m'a demandé avec quels mannequins londoniens j'étais ami.

-Euh... désolée pour ça.

-T'inquiète, elle a été bien reçue. Je pense qu'elle réfléchira un peu plus, la prochaine fois qu'elle voudra faire étalage de ses préjugés. »

Je préférais ne pas poser plus de question, et il s'approcha de la coiffeuse derrière laquelle j'étais assise.

« Alors comme ça, tu as besoin d'aide pour te coiffer ?

-Tu es vraiment coiffeur de stars ? m'étouffais-je.

-Bien sûr que non, s'agaça-t-il. Je suis un riche héritier qui n'aura jamais besoin de travailler, à moins que le caprice ne lui en prenne. Mais je peux quand même te filer un coup de main. »

Il sortit une fine baguette de sa poche, et regarda mes cheveux plus attentivement.

« Qu'est-ce que... »

Il agita l'objet, et mes cheveux se relevèrent d'eux-même, pour s'enrouler en une élégante couronne de tresses. D'un geste supplémentaire, il fit apparaître une rangée de roses qui se mêlèrent à mes cheveux. Elles étaient exactement de la même teinte que mon rouge à lèvres.

« Ça te va, comme ça ? » demanda-t-il d'un air satisfait.

Je pense que la façon dont je fixais mon reflet dans le miroir était éloquente. Je me tournai vers lui.

« C'est une baguette magique ?

-Ouais. Aubépine et crin de licorne, de qualité supérieure. »

L'objet me paraissait particulièrement attirant.

« Tu l'a trouvé pendant votre voyage entre les dimensions ?

-Non, fit-il, avec un drôle de regard. Je l'avais déjà avant, depuis l'enfance en vrai. Là-bas, tout le monde apprend à contrôler ses pouvoirs. Ma conscience méta-littéraire les a juste amplifiés. »

C'est vrai que Kat avait dit qu'il était très puissant.

« Ton monde te manque ? Ça a l'air bien plus amusant que chez moi.

-C'est différent... Mais on y côtoie des gens tout aussi malsains, à leur manière. Je n'étais pas vraiment heureux là-bas.

-C'est pour ça que tu es parti avec Kat ? »

J'ignore s'il allait réellement se confier, mais je ne pourrai jamais le savoir : Sheylla était rentrée dans ma chambre au même moment, l'air particulièrement offensée. Dray glissa sa baguette dans sa manche, et se composa une expression neutre.

« Kat a refusé de venir te coiffer, Frances' ! Elle a dit qu'elle était pas ta domestique et que tes cheveux étaient aussi bien lâchés de toute façon... »

Elle s'interrompit en remarquant ma coiffure, et émit un sifflement admiratif.

« Oh, tu es magnifique. C'est toi qui a fait ça, finalement ?

-Non, c'est Dray. Mais il n'est pas coiffeur, ajoutai-je précipitamment, alors qu'elle se tournait vers lui.

-Mais... c'est un homme, dit-elle en fronçant les sourcils.

-Oui, mais peut-être que les gens peuvent parfois... sortir des rôles prédéfinis ? Tentais-je avec un sourire.

-C'est absurde, rétorqua-t-elle en regardant sa montre. Mais il est temps d'y aller, la soirée commence bientôt. »

Elle descendit avec empressement, et je lui emboîtais le pas, tandis que Dray débitait ce qui ressemblait à une litanie de jurons typiquement anglais.

On a brisé le quatrième murOù les histoires vivent. Découvrez maintenant