I - 15 MILLIONS DE WONS

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Séoul, Printemps 2020, vers le milieu du mois de Février

Dans le quartier d’Itaewon, quelques lumières tardaient encore à céder aux premières lueurs du jour.  Au détour de la rue des antiquaires, le nouvel éco-quartier grouillait déjà de vie. Pendant que l’un de ses immeubles commençait à se vider, l’appartement 07 était encore immergé dans le calme qui précède le réveil de ses occupants.

C’était un grand loft dont la façade principale donnait sur toute la ville. De grands rideaux bleus étaient encore fermés sur la baie vitrée et empêchaient la lumière de l’aube d’éclairer l’appartement, mais quelques rayons timides caressaient déjà les vieilles photos accrochées aux murs du living. En les regardant, on croirait pouvoir entendre les éclats de rires, sentir la fraîcheur des baignades en plein été, ou encore imaginer les chorégraphies et les frissons d’avant-scène. On pouvait y voir la jeunesse, l’amitié, le bonheur.

A l’entrée, un couloir donnait sur la cuisine et le salon qui étaient réunis en une seule vaste pièce. Les murs y étaient d’un blanc immaculé. Tout au milieu trônaient un canapé en velours gris avec des coussins bleus et de confortables poufs blancs et ocres. Ils étaient disposés autour d’une table basse rectangulaire en verre, sur un grand tapis moelleux.  Le principal attrait de la cuisine était un beau comptoir en marbre qui la séparait de la salle à manger. Pour les repas, celle-ci disposait d’une table ronde en palissandre pour huit personnes, bien que les locataires ne l’aient jamais utilisée. Elles n’étaient que quatre mais « Et si on a des invités, vous allez les mettre où ? » avait demandé Bo Hwa le jour où elles avaient failli acheter une table plus petite. Des deux côtés de la pièce principale, on avait à droite la buanderie agrémentée d’une petite véranda ; et à gauche, une de leurs pièces favorites : la salle de bain. Elle avait des murs carrelés avec quelques tâches de mauve et de blanc. Plusieurs objets rappelant la plage la décoraient aussi. Le lavabo, la baignoire et le pourtour du miroir ovale étaient ornés de la collection de coquillages de la benjamine qu'elle tenait absolument à garder.

* * *

L’appartement était maintenant bercé par une douce mélodie. Magic Shop des BTS jouait en sourdine depuis la cuisine. On entendait également le tintement léger de quelques ustensiles dans l’évier et le bruit du jet d’eau du robinet. Han Jin Ah, la plus âgée, était aux fourneaux depuis quelques heures déjà.

C’était une jolie jeune femme grande et mince, qui avait gardé la même magnifique ligne de mannequin de son adolescence. Elle avait beau avoir vingt-deux ans, son tout nouveau carré plongeant lui donnait cinq ans de moins. Elle avait un petit visage et sur ses joues se creusaient de profondes fossettes à chaque fois qu’elle souriait. Ses cheveux de jais retombaient souvent sur son front qu’elle trouvait beaucoup trop petit. C’était d’ailleurs devenu une manie chez elle de passer ses doigts dedans pour les renvoyer en arrière.

Le minuteur posé sur le comptoir sonna pour annoncer la fin de la cuisson des tartelettes aux fruits rouges. L’horloge de la machine affichait sept heures dix du matin.

Han Mi So se réveilla brusquement d’un doux songe. Comme à chaque réveil, ses longs cils légèrement humides peinaient à laisser s’ouvrir ses yeux. Elle les frotta doucement puis écarta les quelques mèches bouclées qui traînaient sur son visage. La nuit avait était longue : elle l’avait passée à faire des croquis dans son carnet de dessin pour préparer son dossier d’entrée à Hongik University. Elle n’était pourtant pas arrivée à faire quelque chose de concret. Elle s’était endormie sur le canapé du salon et personne n’avait daigné la réveiller pour qu’elle aille dormir un peu plus confortablement dans son lit. Cela lui avait valu un mal de dos terrible. Et pour couronner le tout, de l’autre côté de la pièce, elle entendit un brouhaha de rires étouffés qui achevait de la mettre de mauvaise humeur. Elle leva la tête par-dessus le dossier du divan et plissa péniblement les yeux pour distinguer ce qui se passait. Elle vit d’abord trois silhouettes floues dans la cuisine. Elle reconnut alors sa sœur qui sortait du four un plateau, envahissant la pièce d’une exquise odeur sucrée. Ses deux autres colocataires accoudées au comptoir couinaient de réjouissance. 

Happier | BTS | [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant