Chapitre 1 : Un cadeau du ciel

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Ce matin encore je me réveille dans ce lit dur. Mon lit me manque un peu plus chaque matin. Mais je devais le laisser partir pour l'installer dans ma nouvelle chambre. Je me lève doucement, la tête tournante. Je la tiens d'un air las et m'étire. Je fixe un instant les petits trous des volets qui laissent passer les reflets du soleil levant d'hiver. Une nouvelle journée. Encore. Je prends mon téléphone en main et regarde l'écran avec des yeux rouges et gonflés. Comme d'habitude. Lundi 2 décembre. 8H13. Et toujours aucune neige.

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Je m'habille, prend mon sac et sors de cet appartement miteux qui me sert de refuge. Le regard vide, je traverse ces rues familières. Encore. Mes semelles collantes sur les chewing-gums laissés ça et là, mes cheveux sombres, lisses et longs sauvagement coiffés par la nuit cascadant sur mes frêles épaules. Mes petites jambes fines marchent lascivement, fatigués des efforts matinaux. Je n'affiche aucune expression, a part un masque peint d'un visage neutre. J'arrive devant le lycée et le regarde un instant avant de me décider a y entrer. Des que je passe le portail, je le sais, me bloque totalement et passe entre eux. Je les entends. Je sais déjà ce qu'ils vont dire.

– Salut l'allumette, encore le courage de venir ici ?

– Elle en a du cran !

– Eh je te parle !

– Finalement pas autant de courage qu'on croit

– Crève !

Encore et encore, je le savais. J'essaye de passer entre leurs paroles mais mon bras se fait attraper. Je suis donc obligée de lever les yeux vers cette fille. Qui est-ce cette fois ? Le visage de Haruka apparaît devant le mien mais s'éloigne aussi vite.

– Aahh ! Mais tu fais flipper ma parole !

Je la regarde de mes yeux vitreux. Ma langue préfère ne pas user de sa salive pour répéter les mêmes choses. La routine me monte a la tête. Je tire sur son bras et me tourne pour rejoindre enfin un endroit calme. Bien sur c'est trop leur demander et une jambe viens frapper la mienne. Trop faible pour rester debout, je m'écroule au centre d'eux. Quatre têtes survolent la mienne. A droite, Haruka, ses cheveux blonds et courts, son maquillage sur ses yeux noirs, ses formes avantageuses et son éternel sucette, la peste de première en soit. En face, Katsu et Takehiko, leurs chevelures bleutées courts pour Takehiko, longs pour Katsu, yeux marrons, tenues sombres et pâleur légendaire, les jumeaux maléfiques et leurs cornes invisibles. Et pour finir, a gauche, Yuko, mèches roses sur base noire, des pupilles vairons grises et violettes, vêtue coquettement et ses airs hautains de grande bourge.  Tous croisent les bras et Yuko tire mes cheveux en arrière pour laisser entrevoir mon visage blanc d'épuisement. Tous poussent un cri d'effroi et Katsu m'arrache mon sac pour le renverser au sol. Elle prend un air enfantin forcé en riant.

– Regarde frérot, c'est faux, il n'y a rien de compromettant dans son sac poubelle hihi !

Je me tâte a ramasser mes affaires après mes deux claques quotidiennes. Et encore, pour tenir, je me répète que ce n'est rien, un jour je l'espère cette boucle s'ouvrira.  Je me leve et cache mes joues rouges sous ma frange. J'avance entre les autres rires et bousculades de cette fosse appelée « cour ». 17 ans. Quel supplice. A la sonnerie, les sourires narquois se perdent et les masques se posent. Tout le monde arbore sa tête du lundi. Un lundi 2 decembre. 8H55. Et toujours aucune neige.

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On s'installe chacun a une place pour cette première heure de torture. Ma chaise me paraît comme munie de menottes et d'attaches électriques. Je m'y assois par obligation. Seule au milieu de tous, j'observe le professeur entrer. Cet aveugle, dans ma tête, distribue les armes aux autres pour me battre. Leurs faux rictus passent comme chaque fois. Seule ma tête vide attire son regard quelques secondes. Il nous dit « bonjour » qui résonne comme un « à vos marques ». Tous s'assoient et l'heure débute. Le tic-tac de l'horloge comble le silence. Ses paroles me volent au dessus. Mon menton dans ma paume, dix minutes de paix et le premier projectile est lancé. Je reçois une boule de papier en pleine tête mais ne bouge pas d'un poil. Ma chevelure absorbe le choc. Au traditionnel « Bon ! » de l'enseignant, je comprends alors que le « Prêts ? Partez ! » est survenu au même moment que d'habitude, je baisse la tête et vois la pièce changer dans mon esprit. Une noirceur l'envahit totalement et les élèves se mettent autour de ma chaise. Je décompte à 3 et plein de bombes m'atteignent. Je ferme les yeux. Toute cette torture est habituelle. Mes émotions sont bloquées, aucune chance qu'ils se fassent malencontreusement repérer. Et au pire des cas ils n'auront aucune sanction. C'est notre âge qu'ils disent. Et puis c'est la routine. Ça leur fait plaisir, ça ne me dérange plus. Je ne ressens plus rien. J'attends que l'heure de torture passe à l'autre et je les compte. Plus que quatre. Chaque supplice quotidien est géré par un enseignant. Des supplices différents mais qui au final se ressemblent tous. Je ne ressens aucune douleur. Je suis bien trop vide. Je garde les yeux fermés jusqu'à la sonnerie. A la fin de l'heure, je suis là dernière à sortir de la salle. Je nettoie discrètement le sang imaginaire de ce champ de bataille.

Fume : L'envolOù les histoires vivent. Découvrez maintenant