Lonely Whale

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Lonely Whale
- 1 partie
- 3500 mots

"Mais est-ce que les baleines ressentent la solitude ?"

———

Il n’existait pas de mot pour décrire le contraire de la solitude.

On pouvait tenter de mettre une définition sur ce sentiment d’être entouré, mais notre vocabulaire ne le reconnaissait pas.
Loneliness n’avait pas de contraire dans la langue anglaise. Einsamkeit, en allemand, s’opposait à Zweisamkeit, mais ce dernier ne représentait qu’un tête à tête, une intimité à deux.
Il n’y avait pas de mot qui décrive ce sentiment de ne pas être seul, dans l’univers, dans sa vie… Ce sentiment d’être entouré.

Pourquoi avait-t-on alors ressenti le besoin de mettre un mot sur la solitude ?
L’être humain était sociable de nature, peut-être que la solitude le marquait plus que le reste.

Mais est-ce que les baleines ressentaient la solitude ?
Depuis tout petit, je m’asseyais devant cette grande fresque dans le musée d’Histoires naturelles, et je me posais la question.

Peintes en tailles réelles, les baleines bleues flottaient sur tout un mur de la grande salle réservée aux cétacés.
Sur le côté, cachant la nageoire de l’une d’elles, se trouvait un grand panneau blanc censé instruire toute personne qui prendrait le temps de poser les yeux dessus.

Ma mère m’ayant déjà appris tout ce qu’il contenait avant que je ne sache lire, il ne m’avait jamais été d’une grand utilité.
Mais aujourd’hui, la toute première phrase résonnait comme un écho au creux de ma poitrine.

« La baleine bleue vit seule, ou voyage parfois par paire de façon temporaire »

Cela correspondait curieusement à ma situation. Tellement que ces mots auraient pu m’être directement adressés.
Entre les cours par correspondance et les nombreux voyages de ma mère, je n’avais pas le temps pour une relation quelle qu’elle soit. 

Je passais pratiquement toute l’année en mer ou dans des hôtels de fonction. Les paysages étaient magnifiques, mon quotidien était passionnant et je rencontrais pas mal de monde, mais je ne pouvais pas créer de liens, d’autant plus que je parlais rarement la même langue que les gens que je croisais et que mon anglais était loin d’être parfait.

Il n’y avait que le printemps qui avait cette saveur d’amitié, de stabilité. 
Je passai toujours deux ou trois mois au même endroit, ici, à Seoul.

Le printemps, entre deux périodes d’activités de ses sujets d’étude, ma mère travaillait au musée, elle faisait des recherches et écrivait de nombreux articles sur les voyages qu’elle avait fait tout au long de l’année, elle tenait même quelques conférences sur le sujet. 
C’était une biologiste reconnue, et je l’admirais beaucoup, mais des fois, son rythme de vie était fatigant…
Le printemps, c’était une parenthèse reposante.

Mais il ne me suffisait plus.
Quand j’étais à l’autre bout du monde, perdu sur un bateau entre deux plaques de glace, et que j’entendais le chant des baleines sur le moniteur de ma mère, la tête posée sur ses genoux, je me sentais seul.
J’aurais aimé pouvoir chanter aussi loin que ces créatures stupéfiantes, j’aurais aimé pouvoir toucher quelqu’un moi aussi, et pas seulement pour quelques jours, quelques heures...

Je ne voulais pas être une baleine solitaire, errer au hasard, rencontrer quelques personnes, puis les oublier pour ne garder en moi que la trace d’un chant passé.

Le chant d’une baleine... C’était quelque chose d’assez merveilleux, de mystérieux aussi. S’il existait beaucoup de théories sur les vocalises de ces créatures, personne n’avait de certitudes quant à leur véritable rôle. 

Recueil d'OS [BTS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant