Elles échangèrent un regard.
Tout au fond de la salle, coincée entre deux camarades stoïques, la brunette se retint de lui donner un battement de cils.
Au-dessus, deux figures la dévisageait. Deux figures qu'elle avait tant chérie. Deux figures qui l'avaient rendue fière lorsque, pour la première fois, elle avait ramené un de ses dessins à sa famille. Deux figures qui l'avaient vu grandir et se noyer sous les prix d'excellence. Deux figures qui, aujourd'hui, ne lui refilaient rien d'autre qu'un terrible mal de ventre accompagné de nausées incontrôlables.
Il lui arrivait de grimacer face à de minuscules crampes.
Ces deux figures composaient sa seconde famille ; un socle. Une union pour un cœur battant.
La nation. Des pères.
La nation. Un projet.
La nation. Une seule population.
Une nation. Des sujets heureux.
Heureux dans leur ignorance du mot liberté, ou du moins, de sa véritable définition.
Plongée dans ses propos, elle manqua un trait.
"Chaeyoung. Concentre-toi. Prends exemple sur tes camarades."
Hochant la tête, elle reprit sagement son erreur pour détourner la mocheté soudaine en parfaite symétrie.
Une nouvelle crampe lui saisit l'estomac.
Sur son dos si courbée et fin, elle pouvait discerner l'indiscrétion d'une japonaise.
Elle la détestait tant. Cette putain de japonaise. Impératrice dans son tourisme de masse. Impératrice dans son Japon colonialiste. Rien d'autre que des vermines grouillantes. Ils n'attendaient qu'une chose : que les pères s'endorment pour venir mordre la patrie.
La brunette se retint de sourire de justesse, gardant son regard ancré sur la statue en face d'elle.
Bordel. Elle n'aimait pas se mentir. Elle n'aimait vraiment, vraiment, vraiment pas briser des calomnies.
Cette femme n'avait rien de bien différent d'eux. Rien ne disait qu'elle n'était qu'une prostituée engendrée par le capitalisme.
Alors oui, certes, elle était un peu plus grande qu'eux, mais elle ne possédait aucunes autres erreurs visibles. Ni même une trace de mesquinerie. Non. Elle était juste là pour prendre des notes, filmer, discuter et respirer en leur étrange compagnie.
Chaeyoung se sentit soudain comme un sujet de laboratoire, un rat. Un rat pris au piège sous le joug de deux monstres et d'un maître. La nippone au carnet abîmé ne faisait qu'observer l'expérience de loin. Simple spectatrice de quelque chose qu'elle ne tolérait peut-être pas sur son île de liberté.
Osant enfin détourner son talent, la brunette se piqua d'une curiosité qu'elle ne connaissait pas. Du coin de l'œil, elle la distingua : assise correctement sur une vieille chaise de bureau, la japonaise, que leur professeur avait surnommée de " manipulatrice " avant sa venue, observait soigneusement chaque geste. Elle ne manquait rien de ses yeux perçants. Elle ne laissait rien disparaître.
Chaeyoung se mordit la langue.
Si pour une fois dans sa vie la brunette devait arrêter de mentir, elle hurlerait au monde que la nippone devait facilement déceler les méandres d'une peur constante décrite dans ces médiocres retranscriptions de la réalité.
Car oui, ces toiles... Rien n'était plus beau et parfait que ces toiles que peignaient les fils et filles de cette salle. Rien ne débordait. Les statues pouvaient même ressembler à de simples copies à leurs côtés.
Mais la peur, la véritable crainte qui ne lâchait pas l'estomac de la brunette, c'était la perfection. Cet ordre que rien n'avait le droit de déranger sous peine d'être traité d'artiste .
L'œil de la peintre fut attiré par un point précis. La Japonaise manipulatrice avait un grain de beauté doux sur son nez fin.
Croisant son regard vivant, Chaeyoung baissa le sien éteint.
Sans même s'en rendre compte, elle installa sur la perfection qu'elle reproduisait un point minuscule.
Aujourd'hui et pour la première fois, la statue avait un défaut : un grain de beauté doux prenait naissance sur son nez.
Pourquoi n'es-tu pas effrayée par notre perfection ?
Pourquoi t'intéresse-tu à notre propre piège ?
J'ai envie d'en finir, je t'en supplie. Parfois je préférerais être morte.
Des rires mais surtout des pleurs.
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And there was no one left
Fanfiction'' Je ne l'ai jamais envisagé sous cet angle, tu sais ? - Comment ça ? - Je n'ai jamais envisagé l'idée de le hair, je n'ai jamais envisagé l'idée d'être aimée pour qui je suis. '' - & - Il suffit d'une œuvre de Picasso pour transcender un esprit...