Chapitre 1: Tombé pour elle

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6 décembre 


« Mets-moi un salade-tomates-oignons sauce blanche-harissa s'il-te-plaît ! »

J'ai attendu la pause déjeuner toute la matinée. Avec les fêtes de fin d'année qui arrivent, les clients sont plus nombreux que d'habitude et j'ai mal aux doigts à force d'emballer les parfums et les rouges à lèvres. Même le papier cadeau à paillettes finit par faire mal aux yeux. Il me reste quatorze minutes chrono pour m'enfiler mon kebab avant d'y retourner. 

Je m'empresse de m'installer sur le banc au soleil derrière Saint-Lazare (on appelle ça le côté Rome). Il fait super froid, mais ma doudoune me couvre bien et j'ai pensé à prendre mes lunettes de soleil. Je les ai trouvées sur Vinted, des Oliver People aux reflets roses. 

Selim fait vraiment les meilleurs kebabs du quartier. La sauce blanche est faite maison et vient apaiser le feu de la harissa.

Le kebab, ce n'est pas tous les jours, mais quand il fait quinze degrés et un grand ciel bleu début décembre comme aujourd'hui, y a pas moyen. D'habitude, je m'installe sur un banc derrière la galerie commerciale, en face du Prêt-à-manger qui a ouvert il y a six mois, avec ses sandwichs sous plastique à huit euros où mes collègues de Sephora, je ne comprends pas pourquoi, kiffent trop aller (c'est cher, il y a toujours la queue, le seul truc qui vaut la peine est le cappuccino à trois euros quatre-vingt dans un grand gobelet qu'on peut faire durer). Quand tous les bancs sont pris il reste les marches devant la gare, où je mange mon kebab qui arrache en regardant le monde passer.

Il y a de tout dans cette gare les vendredis. Des hommes en costume rentrent seuls dans leur famille en Normandie pour le week-end, des agents de la SNCF avec un gilet rouge courent à gauche, à droite, et ne sont jamais dispos. 

Il y aussi des petites bourges de quatorze ans, trois fois sur quatre blondes et sapés sexy qui débarquent des Yvelines pour faire du shopping à Paris et enchaîner sur une soirée "en ville », comme elles aiment dire. Elles ont toutes les mêmes fringues, un jean très délavé déchiré au niveau du genou ou un jogging blanc taille haute, des Fila à plateformes et un sac à main Michael Kors qu'elles ont dû acheter aux Galeries ou plus probablement sur Asos. Elles traînent par groupe de trois, de temps en temps il y a un mec avec elles, souvent grand et blond, avec une mèche et un sweat Thrasher.

J'ai regardé sur Google à quoi ressemblent les villes où passe le train d'où descendent ces fills (le N qui part de Dreux). Les noms sont plus chelous les uns que les autres : Montfort-l'Amaury, Tacoignières-Richebourg, Orgerus-Behous, Garancières-la-Queue. Ca ressemble à la campagne. Il y a même un donjon à Houdan. 

Tu peux stalker ces meufs sur Instagram en cherchant les photos postées dans ces bleds ; elles posent sur des quatre-quatre ou des quads en forêt ou au bord de piscines qui se ressemblent toutes, devant des pavillons plus ou moins grands. Elles s'appellent Mélanie, Aurélie, Emma. Elles traînent sur la place là, tu vois même leur nombril, elles veulent toutes ressembler à Angèle avec leur frange et leur iphone X qui coûte un SMIC.

Je cherche des yeux si Sonia traîne dans le coin. Parfois on déjeune ensemble, mais c'est jamais organisé, toujours par hasard. On se croise devant le rayon sandwich chez Monoprix ou on se capte sur les marches de Saint-Lazare. Sonia doit avoir cinq ou six ans de plus que moi, le milieu de la vingtaine. Elle bosse à la boutique depuis trois ans. A la base c'était un job étudiant mais elle a obtenu une promotion et gère maintenant tout le rayon parfumerie, même si, à la base, ce qu'elle voulait faire après son BTS c'était surtout du marketing dans le luxe. Elle vient de Corbeil-Essonne et je sais franchement pas pourquoi elle vient travailler à Saint-Lazare plutôt qu'à Montparnasse ou Châtelet, c'est plus direct pour elle.

Chronique de Nawel - A Story of Love and BarakaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant