Chapitre 2: Au bonheur des meufs

96 7 6
                                    


6 décembre


Je me sens vraiment mal, mais bon, il va s'en remettre et moi, je vais être en retard ! Je descends quatre à quatre les marches de l'escalator et file dans l'arrière-boutique du Sephora me remaquiller. Je vois Sonia, ma manageuse, qui arrive vers moi et je meurs d'envie de lui raconter mon histoire. Elle m'éclate de rire à la gueule ! « Mais Nawel tu t'es pas vue, la gueule que t'as! Ah, j'en peux plus ! » J'arrive plus à stopper Sonia qui a le rire facile.

Je me regarde dans le miroir. Ok, le maquillage des fêtes de Noël qu'on doit porter chez Sephora est légèrement criard, paillettes argentées sur les paupières, faux-cils et tout le tralala, mais rien de choquant.

J'ouvre la bouche: entre mes deux dents de devant, un bon gros morceau de salade. Pas un petit filament discret non, une laitue entière s'est cachée là, on dirait que j'ai un scratch entre les dents. Je suis une fille très fière, mais là, je commence à avoir honte.

En dehors du bout de salade, je vois dans le miroir une meuf assez fraîche. Mes potes me comparent parfois à Sofia Boutella. Elles sont gentilles, mais à part les yeux bruns et la peau mate, il faudrait lui ajouter une quinzaine de kilos pour qu'elle me ressemble. Et puis, le costume noir de Sephora me va plutôt bien au teint. Le seul souci ici, c'est que je dois me lisser les cheveux. Le directeur de la boutique trouve que ça fait plus présentable pour les clients. Sonia, qui est passée manageuse, affiche des coupes afros de plus en plus volumineuses chaque jour pour le provoquer. Mais comme je suis nouvelle, je n'ose pas l'imiter. En général, comme je ne travaille que les vendredis et week-ends, je me lisse les mèches du devant le jeudi soir, comme ça je peux me faire un chignon bien strict et bien serré qui cache mes boucles et satisfait mon idiot de patron.

« Nawel, magne-toi, c'est l'heure de ma pause ! » me lance ma collègue Célia, toujours aussi agréable.

L'après-midi passe lentement. Aux maris qui n'y connaissent rien, je conseille les mêmes coffrets Clarins ou Thierry Mugler pour épater leur femme à Noël. Pour une cinquantaine d'euros, on peut avoir un petit flacon d'eau de toilette et un lait pour le corps.

Mais l'écrasante majorité des clients sont des femmes, à l'affût des dernières tendances make up américaines ou des soins coréens. J'aime beaucoup les vieilles dames coquettes, qui portent des manteaux de fourrure et viennent me raconter leur vie. Elles m'interrogent longuement sur les nouveautés du rayon parfumerie et finissent toujours par me demander Chanel n°5.

Je vends aussi des litres de highlighter aux adolescentes qui veulent imiter Kendall ou Gigi. Mais la plupart en abusent, si bien qu'elles semblent dégouliner de transpiration au niveau des tempes et du menton.

Un jour, j'ai dû remplacer l'esthéticienne du bar à sourcils qui était malade. Je devais épiler et maquiller les sourcils des clientes. C'était horrible. J'avais suivi une petite formation en soins esthétiques à mon arrivée chez Sephora, mais là, c'était trop de pression. J'ai passé vingt bonnes minutes à essayer de faire comprendre à une meuf qui avait les sourcils de Loanna que je ne pourrais pas lui faire un regard à la Cara Delevingne. Elle a quitté la boutique furieuse en me traitant de paresseuse.

Mais les pires clients, ce sont les mecs qui viennent soi-disant chercher un cadeau pour l'anniversaire de leur meuf. Ils me posent des questions absurdes du genre: « Pour vous, quelle est le cadeau idéal qu'on puisse faire à une femme ? » tout en me regardant droit dans les yeux, en souriant bêtement, bavant presque, comme un chien devant un steak. Je leur sors alors le produit le plus cher, et la plupart du temps, il lâchent l'affaire. Les plus entreprenants me demandent mon numéro. Ils finissent par ne rien acheter et repartent avec des échantillons ou un vernis à cinq euros.

Si je n'étais pas au travail, je les enverrais bouler. Mais je sais très bien que je ne peux pas me le permettre, que je dois rester dans mon rôle de vendeuse, sourire et remercier. J'aime bien ce petit boulot, mais je travaille dur pour financer mes études, et je n'ai pas de temps à perdre avec ces crevards. Je n'ai pas de temps à perdre avec un mec tout court.

Je crois que je suis pas sortie avec un gars depuis au moins trois ans, si on exclut la fois où un pote de mon cousin Sofiane m'a emmenée au cinéma voir John Wick 2 (pas hyper romantique je sais, mais je suis fan). En tout cas, cet après-midi, pas de mec relou en vue. Il reste une heure avant la prochaine pause, je ne tiens plus.

Ousmane, le vigile avec qui je m'entends super bien, semble tout aussi saoulé que moi, surtout par les meufs qui passent se maquiller gratos et restent des heures en rayon. Je connais la technique, je l'ai fait avant elles. Pas le choix quand ta mère te laisse même pas mettre un peu de khôl. Et puis bien sûr, il y a les vols. Ousmane est assez tendu, il sait que ça va lui retomber dessus s'il se passe quelque chose. Mais il garde toujours le sourire et me raconte des blagues qui me font me tordre de rire.

Vers quinze heures, je me décide à remplir les étalages du rayon parfumerie. C'est vraiment la tâche la plus ingrate. On est accroupi, ou à quatre-pattes, cherchant les produits dans les tiroirs du bas. Il faut s'assurer que le produit est placé au bon endroit, que le code-barre correspond à l'étiquette du prix et aller chercher des cartons très lourds en réserve lorsque le produit est en rupture.

J'ai la tête dans les cartons de parfums quand j'aperçois à ma gauche les jambes d'un homme. Il a une tache sur la cuisse. Je lève la tête : c'est bien le mec que j'ai fait tomber tout à l'heure.

Je lève encore un peu plus la tête. Il n'a plus son bonnet. Ses cheveux bouclés lui donnent un air assez doux.

Je me relève, et sûre de moi, je lui dis:

« Bonjour, je peux vous aider ?

- Il était bon le kebab ? »

Le rouge me monte aux joues. J'ai juste le temps de le voir prendre un parfum Valentino pour femme, assez cher, passer en caisse, puis disparaître, avant de remettre le nez dans mes cartons.

Chronique de Nawel - A Story of Love and BarakaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant