Chapitre 6: L'Invitation

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14 décembre


- MEUF! Y a un mec qui est venu te chercher !

- Quoi?

A peine arrivée au Sephora, Sonia me saute à la gorge. Elle est surexcitée. Moi, je suis pas réveillée, j'ai pas eu le temps de prendre mon café ce matin et Ariana Grande à fond dans le magasin me tape sur le système. C'est l'avant-dernier week-end avant les vacances de Noël, le magasin est blindé.

On a une pression de malade aujourd'hui et moi j'ai la tête dans le boule. Laurent, notre directeur a bien insisté la semaine dernière sur le fait qu'on n'avait pas atteint notre objectif de chiffre d'affaires. Il est arrivé après moi dans la boutique et il se comporte comme si c'était le magasin à son père. Il tire tout le temps la gueule et ne se rappelle jamais de nos prénoms. Le nombre de fois où il m'a appelée Fatima ! Un jour Sonia lui a dit que c'était limite de confondre les vendeuses rebeus entre elles et de bien se mettre dans le crâne qu'on n'était pas interchangeables.

C'est un peu notre héroïne Sonia. Comme elle fait le meilleur chiffre d'affaires et qu'elle a des skills incroyables de maquilleuse, Laurent sait bien qu'elle est indispensable au magasin et se permet plus trop de lui faire des réflexions. Son apparence tranche vraiment avec l'ambiance de la boutique. Il a l'air d'un informaticien ou d'un comptable avec ses petites lunettes rectangulaires à monture métallique. C'est pas la folie les mecs de l'équipe de toute façon. A part Ousmane, le vigile, qui attire les meufs comme le miel les abeilles, il n'y en a aucun que je trouve vraiment beau. Avant Laurent était manager au Sephora des Champs, mais ils l'ont mis là, on ne sait pas trop pourquoi. Fatima, qui préfère qu'on l'appelle Fati parce que ça fait moins ringard, a une pote qui travaille là-bas: il paraît qu'il a trafiqué la compta pour augmenter son pourcentage et que la direction l'a envoyé chez nous. C'est vrai qu'il est obsédé par les chiffres, un vrai crevard.

Les portiques à l'entrée, tu crois que c'est juste pour éviter les vols ? Ils sont équipés de capteurs qui détectent toutes les entrées. Chaque client qui entre dans le magasin est comptabilisé. Le directeur calcule la différence entre le nombre de personnes qui sont entrées dans le magasin et celles qui sont passées en caisse. On appelle ça le « taux de transformation ». Et tous les jours, toutes les heures, Laurent, ou un autre manager, vient nous faire chier avec ses chiffres.

J'essaie d'arranger un peu ma tête de zombie dans l'arrière-boutique avec un anti-cernes de chez Too Faced. Merde... c'est trop clair, j'aurais dû prendre la teinte Golden Honey. Tant pis, Laurent va me défoncer si je suis en retard. Je fonce dans la boutique, j'arrête la première cliente qui passe l'entrée: « Bonjour, bienvenue chez Sephora, comment puis-je vous aider? » et je montre toutes mes dents, de la manière la plus naturelle possible. Comme souvent, la cliente m'envoie bouler.

Je tente ma chance avec un groupe de mecs qui vient d'entrer. Là, je lâche tout, j'insiste sur la nécessité de prendre soin de soi quand on est un homme, je leur vante les vertus détoxifiantes d'un gommage, l'onctuosité d'une mousse tonifiante, les qualités hydratantes de cette huile pour barbe qui fait des miracles et qui ne manquera pas de séduire votre partenaire. Bingo: ils repartent avec un panier de deux cent cinquante euros et une carte fidélité en prime. Mais je me fais engueuler par Célia qui me dit qu'elle est responsable du « pôle soins » et que je suis censée rester au rayon parfum pour femme. Je m'en fous royal, tant que je peux augmenter mon chiffre. Elle n'hésite jamais à m'interrompre où à alpaguer mes clients, alors je ne vais pas me gêner pour vendre quelques soins pour poils de menton.

Du coin de l'oeil, je vois que Sonia essaie d'attirer mon attention. C'est l'heure de sa pause clope et elle veut que je l'accompagne. On prévient Laurent qu'on va fumer cinq minutes (je ne fume pas, mais ça me fait une excuse pour sortir). On se pose sur le trottoir sous la passerelle en face de la gare et Sonia a le temps de me balancer un premier nuage radioactif dans la gueule avant de hurler:

- Nawel depuis tout à l'heure j'essaie de te parler et tu m'ignores !

- Ah oui, le type qui est venu me chercher, c'est quoi cette histoire? C'est un client?

- Je sais pas si je te dis, depuis ce matin tu m'écoutes pas.

Je ne réponds pas. Je sais bien qu'elle ne va pas tenir deux secondes, elle kiffe trop les ragots.

- Il cherchait une meuf rebeu qui travaille là, il a dit « avec des cheveux bouclés et un regard insolent ». C'est sûr c'est toi! Comme il était beau, je lui ai dit de repasser en fin de matinée et que tu serais là.

- T'es sérieuse Sonia ?

- J'aurais pas dû?

- C'est pas comme si j'étais la seule rebeu du magasin, ça se trouve c'était pour Fati ou Safia.

- Mais non, c'est toi meuf, jamais Fati et Safia elles se font draguer comme ça.

- Arrête... Imagine c'est un stalker, imagine je me fais agresser. Tu l'auras sur la conscience !

- Nawel la vie de moi c'était un mannequin, plus beau que Zayn, faut trop que tu le voies ! Il a dit qu'il s'appelait Ali.

Ali? En entendant ce nom, je ne sais pas pourquoi, je sens mon coeur qui palpite. Je connais pas de Ali, à part mon cousin du bled (et j'espère vraiment que c'est pas lui qui est venu chercher après moi) et le beau gosse aux yeux de braise qui s'est rétamé devant moi la semaine dernière. Le film repasse dans ma tête: le kebab au soleil, le mec qui glisse violemment sur le parvis tel Capucine Anav sur le plateau de TPMP, le café qui gicle et se répand sur son pantalon. Et puis, le calme glacial avec lequel il s'adresse à moi lorsqu'il passe en boutique quelques heures plus tard... Il avait l'air d'être un sacré bolosse. Je me demande bien ce qu'il me veut.

A peine revenues dans la boutique, on se fait engueuler par le responsable.

- Nawel !

Sonia me met un coup de coude et pointe le mec qui s'approche de moi.

- Bonjour, tu te souviens de moi ? Ali.

Je n'en reviens pas, c'est le mec du kebab. Il continue:

- Je te présente mes excuses pour la dernière fois, je me suis emporté, j'aime pas parler comme ça aux meufs d'habitude. Tu finis à quelle heure ?

- Sept heures.

Merde, pourquoi j'ai répondu? Mais pourquoi?

- Ok, alors je vais revenir à sept heures, et on va aller prendre un café, comme ça tu vas rembourser celui que tu as renversé.

- Euh... non.

- Euh... si, dit-il, en m'imitant. Je reviens à dix-neuf heures.

Chronique de Nawel - A Story of Love and BarakaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant