Scyllia tome 6 : Shed

Chapitre 14

 À l'écart de la ville, sur une petite colline qui surplombait les plaines d'herbes bleues, Shed fixait d'un regard triste un carré de terre fraîchement retourné. C'était à cet endroit, balayé par une légère brise, que l'archange avait décidé d'enterrer sa femme.

Même si le temps pouvait être altéré pour Scyllia afin que les événements importants surviennent plus vite, elle put tout de même constater qu'il était resté auprès d'elle pendant trois jours, presque totalement immobile.

Son visage montrait une profonde tristesse, mais à part ça, il était impossible pour la prétendante de sonder son esprit et deviner ce qui lui passait par la tête. Elle aussi avait déjà subi un tel choc à la mort de ses parents, malgré tout, la vie l'avait forcée à aller de l'avant. Pour Shed, c'était à se demander s'il tenait encore à découvrir ce que la sienne lui réservait, sachant que son monde s'était déjà écroulé.

Une chose était sûre, sans l'intervention d'une aide extérieure, l'archange était prêt à se laisser dépérir sur la tombe de sa bien aimée, si tant est qu'une telle créature puisse mourir ainsi. Heureusement pour Scyllia qui, elle, ne voulait pas finir ses jours ici, un autre ange finit par se poser quelques mètres derrière Shed. Même si elle n'en avait vu que très peu, la prétendante avait l'impression de le connaître et était certaine qu'il faisait partie de l'escouade de Lief.

— Général ? appela-t-il.

— va-t-en, souffla l'archange sans même détourner son regard de la tombe.

— Je vous en prie, nous avons besoin de vous...

— Lief aussi avait besoin de moi, et voit ce qui lui est arrivé. Tout est de ma faute.

— Vous n'êtes en rien responsable de la folie d'un dieu. Personne n'aurait pu deviner que...

— C'est moi qui ai insisté pour qu'elle le rejoigne et s'attribue le mérite de la bataille. J'étais si heureux de la voir être récompensée pour ses efforts. Lorsqu'il a commencé à insister, j'ai compris que quelque chose n'allait pas. J'aurai dû intervenir, m'interposer et expliquer que personne n'aurait pu changer quoi que ce soit. J'aurai dû être là pour elle... Mais je suis resté à ma place, simple observateur. Quand j'ai compris ses intentions, il était déjà trop tard.

Le timbre de la voix monotone et les yeux rougis de l'archange qui avait déjà pleuré toutes les larmes de son corps étaient un véritable déchirement pour le cœur de Scyllia. Pour lui, il n'avait pas été que spectateur de cette tragédie, il avait poussé sa femme à courir vers sa mort.

— Lief était une commandante d'exception et je suis fier d'avoir servi sous ses ordres. Mais ce que je sais aussi, c'est qu'elle aimait cette ville et toutes les personnes qui s'y trouvaient. Même fou, un dieu reste un dieu et les autres ne resteront pas sans rien faire, tenta-t-il d'argumenter. Il est certain qu'ils enverront tôt ou tard une armée pour tuer chaque homme, chaque femme et chaque enfant... Sans vous pour nous commander et nous protéger, nous n'avons aucune chance.

— Et qu'est-ce qui te fais dire que je peux faire une telle chose ? Comment peux-tu affirmer que je suis capable de vous protéger alors que je n'ai rien pu faire pour elle ?

— Vous êtes une des rares personnes a vous être élevé en archange. Vous avez participé à la guerre des dieux. Vous en avez même tué certains ! Votre commandement est légendaire et vous êtes celui qui a eu le moins de perte dans vos rangs malgré le fait que vous étiez en première ligne.

— C'est vrai... Pendant la guerre, j'ai tué cinq dieux noirs. Cela fait donc six dieux au total. Et pourtant, malgré toute leur puissance, je n'ai toujours pas gagné une seule faculté qui m'aurait permis de la sauver... Pourquoi mes sorts sont-ils autant destructeurs alors que je suis incapable de refermer une simple plaie ? Pourquoi, après tout ce temps et toute cette puissance, je ne peux pas venir en aide à une personne mourante dans mes bras ? Pourquoi je n'ai pas pu la sauver...