Nouveau conseil n°2

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Soyez de la première fournée

Tiens, revoilà le troupeau de Caliméros et c'est pas juste, et patin couffin. Je vous envoie une vanne d'un autre siècle pour vous faire taire deux secondes. C'est aux autres que je parle.

Oui, je m'adresse à vous, les bienheureux natifs de l'année 2002 - 2003. Votre destin était écrit dans les étoiles. Pas la peine de jouer au loto, vous avez déjà touché le jackpot. Vous êtes nés pour nager dans la galère. Je sais que l'image est pourrie, parce que normalement quand on est dans la galère, au moins on ne se mouille pas, tant qu'on rame. Mais dans votre cas, non seulement vous avez dû ramer, mais en plus vous avez eu de la flotte jusqu'au cou pendant toute votre scolarité.

En primaire, de toute façon les réformes débarquent tous les deux ans. On passe de la semaine de cinq jours à la semaine de quatre jours, on revient à la semaine de quatre jours et demi, et ensuite on recommence. Ensuite, on essaye la méthode globale, et tout le monde se met à hurler que c'est de la merde et que ça produit des illettrés, donc on revient au syllabique, et ceux qui aimaient bien le global descendent dans la rue pour cramer des bagnoles. Vous avez appris à lire... en quatre ans. On applaudit bien fort.

Vous débarquez au collège et hop, réforme du collège. Déjà d'habitude, un bon tiers des profs se fout régulièrement en arrêt pour soigner leur dépression, et on les remplace par le premier piéton qui a le malheur de longer le portail d'un peu trop près:
« Vous avez des connaissances en SVT?
— Non, mais parfois je vais à la pêche le dimanche avec mon beau-père.
— Vous êtes exactement la personne que nous recherchons.
— Mais j'ai jamais enseigné, moi. Ça sera pas un problème?
— Meuh non, tout se passera bien, vous vous adapterez. »
Arf, la grosse blague. En cinquième, votre prof de français faisait autant de fautes dans les énoncés que vous dans votre copie. Je rappelle qu'il vous a fallu quatre ans pour savoir écrire.

Dans votre cas, en plus des profs absents pour cause de phobie scolaire, le reste passait cinq mois de l'année à respirer du gaz lacrymogène en tentant de garder leur pancarte bien en l'air, sans trop tousser pour qu'on entende leurs «Pas content, pas content !» et leurs «Non non non, ça peut plus durer». Vous positivez en vous disant que malgré tout, vous avez réussi à apprendre à diviser jusqu'à deux.

C'est dans ces conditions bien idéales que vous avez débarqué au lycée. Et je vous le mets dans le mille, réforme du lycée. Au début, ça n'a pas changé grand chose. Vos profs ont profité de l'année de Seconde pour constater votre niveau abyssal. Deux ou trois petites grèves. Rien de révolutionnaire. Sauf la fois où vous et vos camarades vous êtes retrouvés encerclés par les CRS qui vous ont cognés à coups de matraque avant de vous forcer à vous mettre à genoux les mains sur la tête. Ça, c'était fun. Et les images ont fait le buzz.

Non, le vrai merdier a commencé en Première. Je passe sur les grèves, les blocages et les «Pas contents, pas contents». Vous connaissez par cœur. Pas contre, ce qui se passait quand vous étiez effectivement en cours, là c'était nouveau. Imaginez un monde où on vous informe deux jours à l'avance de trucs absolument vitaux pour votre avenir.
« Jack, il faut impérativement faire des vœux de LVA et LVB d'ici trente-six heures, sinon des gens vont mourir.
— What the fuck (Quoi la baise, c'est de l'anglais), demain c'est les vacances de Noël et j'avais prévu d'être malade.»
Un monde où on vous dit des trucs de source officielle, donc relativement fiables, et finalement la réalité ne colle pas du tout. Genre oui oui, tout le monde aura accès à la banque de sujets des épreuves, vos parents pourront tranquillement vous enfermer dans le cagibi sous les escaliers pour préparer les trois cents sujets possibles, si ça les tente. Et les semaines passent. Et au bout du compte, vos parents attendent toujours leurs codes d'accès. J'ai un scoop: pas la peine de planquer votre vieux smartphone dans le cagibi sous l'escalier. Autre scoop au passage: il n'y a pas exactement trois cents sujets dans la banque de sujets.

Enfin vous pigez le concept. Un peu comme quand votre paternel vous fait ramener la 3008 après avoir trop picolé à la soirée, alors que les phares ne marchent pas et qu'il n'arrête pas de vous dire «Mais prends à gauche, c'est plus court.» Et cerise sur le gâteau, on ne peut absolument rien vous reprocher. En fait, les profs sont dans un état encore pire que vous, et si vous tendez un peu l'oreille en la collant à la porte de la salle café, vous entendrez peut-être «Les premières E3C sont pas en janvier? Faudrait pas qu'on fasse une réunion avant fin décembre?»

Voilà pourquoi je vous dis depuis le début de ce chapitre que vous êtes une bande de gros veinards. Vous n'aurez aucun effort particulier à fournir pour avoir plus de chances que les autres de foirer votre bac. Et attendez d'arriver en Terminale et qu'on explique à vos profs que le grand oral se prépare en deux ans. Vous savez quoi, je vais me garder ce petit détail sous le coude, ça va me faire un chapitre tout entier.

Allons plus loin encore. Dans le cas plus ou moins probable où vous réussissiez votre bac, ce qui au vu du contenu de ce chapitre semble pas gagné d'avance, vous irez peut-être en fac, et là... réforme de l'enseignement supérieur. 2003... année magique.

Voilà. Allez, tous ceux dont les parents ont connu une funeste baisse de libido cette année-là, on se réveille. Tout n'est pas perdu, car voici le...

Comment foirer son bac - spécial réformeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant