Nouveau conseil numéro 1bis - 2bis (alinéa 15)

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Redoublez l'ancien bac en pleine pandémie mondiale

Il faut qu'on reparle de cette année de dingue.

Je vous accorde que vous n'avez rien demandé, et que cette année scolaire 2019-2020 a commencé comme beaucoup d'autres. Un tranquille petit mois de septembre où tout le monde est gentil. Début octobre, vous entendez votre nom dans les couloirs quand des profs passent en discutant. Premier conseil, l'impression initiale se confirme, vos parents vous attendent un soir, avec le papier sur la table de la cuisine, et vous passez un sale quart d'heure. Vous faites des promesses, vous allez vous mettre sérieusement au boulot, vous avez bien compris la leçon. Quelques petits efforts pendant l'hiver, vous essayez de vous mettre un prof ou deux dans la poche, histoire d'éviter le cataclysme au prochain conseil. Vos notes ne décollent toujours pas, mais au moins, on ne pourra pas vous accuser de ne rien foutre. Bon, pour être honnête, quand vous vous enfermez pour bosser le mercredi après-midi ou après le dîner (ou avant, si jamais y a des endives au jambon), vous jetez un œil rapide à vous bouquins, et ça se termine en session de Fortnite, ou en chat avec vos srabs  jusqu'à trois heures du mat.

Mais bon, rien d'exceptionnel. Et surtout, ça a très bien marché les autres années. Le plan est infaillible. Vous mettez un gros coup de collier les deux derniers mois avant le conseil du troisième trimestre, on juge vos résultats un peu moins pourris, la dynamique positive, et hop le passage en classe supérieure. Cette année, c'est pareil, sauf que vous en avez doublement balek, vu que tout le monde ne s'intéresse qu'au bac. Donc, pour résumer, le plan est de ne rien branler pendant neuf mois, et de tout cartonner aux épreuves.

Infaillible.

Les signes avant-coureurs au mois de janviers ne vous ont pas inquiété plus que ça. Même quand la situation commençait à se tendre légèrement en février, vous avez pris l'info comme tout le reste des trucs qu'on voit à la télé. Une sorte de bruit de fond.

Votre réaction devant la télé le soir du 16 mars, quand vous avez entendu Macron déclarer « Nous sommes en guerre » a évidemment été de sauter de joie au plafond. Vous passez des nuits entières sur Snap, à délirer avec vos potes, sur la chance que vous avez de vivre un truc pareil. Pourtant, et vous n'êtes pas le seul, un vague sentiment d'inquiétude vous étreint parfois en pensant à la fin de l'année scolaire.

Après, vous chassez ces vilains nuages noirs de votre esprit, et vous comptez sur la vigilance de ceux qui sont payés pour vous encadrer, à commencer par le patron, Jean-Mich. Les semaines défilent, et Jean-Mich n'en démord pas, les épreuves auront bien lieu comme prévu, coûte que coûte. Ouf. Et finalement, la nouvelle tombe un jour, pas d'épreuves du bac. On prendra les notes de contrôle continu, sur les deux premiers trimestres de Terminale.

C'est là que votre destin bascule. Tous vos potes font leurs comptes, les trois quarts savent déjà que l'année est pliée, ils font leurs projets pour la fac en septembre. Sauf que pour vous, avec votre moyenne à un chiffre, ça commence à sentir le moisi. Vous n'êtes pas le seul, bien évidemment. Certains de vos potes ont même des pires notes que vous. Vous êtes tous convoqués pour le rattrapage. Quatre-vingt points, ça se fait.

Vous harcelez vos profs pour qu'ils vous préparent. Il y en a même un qui vous fait venir au lycée pour vous briefer. Après deux jours de boulot, vous n'en pouvez plus.

Le jour J, vous vous pointez. Votre examinateur en philo vous interrompt au bout de deux minutes pour vous demander si vous savez ce que c'est qu'un texte philosophique. Ça vous coupe le sifflet pendant au moins cinq minutes, au bout desquelles le mec vous dit: « Merci, bonne journée. » La prof d'histoire est plus gentille, elle vous laisse parler, mais pendant toute l'épreuve, vous avez la désagréable impression de causer en chinois.

Le verdict tombe le lendemain : Refusé. Vous vous tournez vers votre pote, et il saute dans tous les sens en hurlant « Dix ! Pile ! » Et partout où se porte votre regard, les gens ont réussi. Il n'y a que vous qui avez échoué.

Vous êtes les 1%. Littéralement. Car vraiment, 99% des candidats ont reçu le bac cette année. Croyez-moi, en tant qu'auteur de ce best-seller sur les diverses méthodes de foirage au bac, je salue votre performance. J'ai vu tous mes conseils battus en brèche, toutes mes stratégies de l'échec tenues en échec. J'ai été vaincu. Du moins, je le croyais.

Au dernier instant, quand tout semblait perdu, vous vous êtes dressé comme un symbole vivant et lumineux de la preuve qu'il est possible d'échouer envers et contre tous. C'est pourquoi je vous rends hommage dans ce chapitre.

Certes, vous ne l'avez pas fait exprès. Après tout, le génie ne se décide pas, et les merveilles naissent par inadvertance. Mais vous voilà, droit dans vos bottes, dans votre refus d'un diplôme au rabais. Vous n'enviez pas la faiblesse de caractère de vos soi-disant camarades, qui se sont contentés d'un laisser-passer pour les études supérieures, quitte à transiger avec leur conscience, dans l'unique but de réaliser leur rêve de faire un BTS commerce international. Vous allez montrer toute l'étendue de votre talent et de votre détermination en faisant partie de ces élus qui auront bataillé contre vents et marées, défié l'ordre établi et foiré au moment décisif, pour ensuite remonter la pente.

Parce que, soyons clairs, vous aurez votre bac à la fin de cette année. Faut pas déconner, non plus. Avec tout ce qu'on vous a infligé, je suis surpris qu'on ne vous fasse pas bénéficier du Loto du Patrimoine.

En attendant, vous n'êtes pas au bout de vos peines. Vous pouvez garder les notes au-dessus de dix, ce qui vous dispense d'épreuves, mais aussi de suivre les cours dans ces matières. Sauf que votre seule moyenne potable, c'était en EPS : onze.

Et en plus, il faut rentrer dans ce moule du nouveau bac. On vous a informé que vous devez choisir deux spécialités, et depuis la rentrée, les profs concernés font une partie de ping-pong géante avec vous. Ça serait marrant, si vous jouiez un autre rôle que celui de la petite balle en plastique. Depuis quelques semaines, vous avez du mal à sourire quand un prof vous déclare à la fin du premier cours: « T'es certain de vouloir faire éco ? ». Le suivant vous a carrément bloqué devant la classe. « Tu peux pas faire physique si t'as pas maths. » Ensuite, « Non, mais maths c'est trop dur pour toi. » Par dépit, vous vous pointez en anglais, et la prof qui vous connaît vous sort devant toute la classe « T'as pas d'autres matières où t'es bon ? ».

Voilà, vous allez en baver. Mais vous n'avez plus rien à démontrer. Vous avez killé le game. Donc, quand vous aurez le bac en juin 2021, vous pourrez enfin savourer à la fois le goût d'un succès mérité, et la saveur d'un échec triomphal.

Je voudrais que tous les lecteurs se lèvent et applaudissent votre exploit. Merci à vous. Nous ne vous oublierons jamais.

Bon, les autres, si vous voulez arriver à la cheville de ces héros, il va falloir vous sortir les doigts. Asseyez-vous et préparez-vous à en chier, parce que j'en ai pas fini avec vous.

On passe au...

Comment foirer son bac - spécial réformeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant