Le Soleil et la Lune (XXII)

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" Le soleil a rendez-vous avec la lune,
Mais la lune n'est pas là et le soleil l'attend

La lune est là, la lune est là, la lune est là, la lune est là, la lune est là mais le soleil ne la voit pas
Pour la trouver il faut la nuit
Il faut la nuit mais le soleil ne le sait pas et toujours luit "

_Charles Trenet

- Monsieur Jeon, qu'avez-vous noté pour le troisième schéma ?

Je m'empressai de regarder ma feuille et de lire mes notes avec application. Satisfait, le chargé de TD accepta de me laisser tranquille et se lança dans des explications plus poussées.

Je me demandais parfois ce que je faisais à la fac, et si j'avais choisi la bonne voie.

Devenir adulte, c'est aussi perdre son enthousiasme. Etre assailli de doutes, mais, contrairement à l'adolescent qui se révolte et qui veut changer le monde, l'adulte s'habitue, il apprivoise le doute, il sauve les apparences.

Devenir adulte, c'est découvrir que personne ne sait ce qu'il fait -à de très rares exceptions près- et que tout le monde navigue à vue, en donnant le change.

J'aimais bien les cours. J'aimais bien les profs, et je n'avais rien contre mes camarades de promo. Seulement, certains jours, je peinais à y trouver du sens.

Ne pouvais-je pas aussi me lancer dans l'humanitaire, ou choisir une carrière en lien avec l'environnement ? Ne fallait-il pas faire quelque chose d'essentiel, d'utile ?

Je m'imaginais à des postes différents, et à chacun de ces emplois j'attribuais une vie, une version de moi-même qui évoluait et grandissait avec les possibilités qui découlaient de ce premier choix. Le Jungkook fleuriste, le Jungkook gérant d'un café, le Jungkook directeur d'un office du tourisme, le Jungkook agent immobilier, ou le conseiller financier.

Et en même temps, il était hors de question que je me réoriente. D'abord, parce que j'avais horreur de l'échec. Ensuite, parce qu'aucune option ne sortait du lot. Je n'avais pas de vocation. Le Jungkook que j'allais choisir ne serait pas meilleur qu'un autre. Simplement, les autres possibilités s'effaceraient. J'aurais aimé avoir la certitude que les humains avaient plusieurs vies, pour pouvoir emprunter successivement toutes les voies. 

C'est comme pour les jeux vidéos : si vous aimez plusieurs personnages, il suffit de faire plusieurs parties, où vous jouerez un de chaque classe. Selon les jours, vous êtes un guerrier à la hache ou un elfe magicien et archer.

Plutôt que d'établir un plan concret pour mon avenir, je décidai de suivre docilement celui que j'avais pré-dessiné par mes choix d'orientation et de poursuivre mes rêveries. Une semaine fleuriste, un mois à la banque... Dans différentes villes, différentes maisons, et autant de configurations familiales qu'il pouvait exister.

Au milieu de tout, il y avait cette certitude que j'allais de toute façon m'en sortir. Enfin, quasi-certitude. C'était ce qui m'aidait à chasser l'angoisse.

Autrefois, les fils reprenaient le métier du père. Ça ne devait pas plaire à tout le monde, puisque les règles avaient changé, mais au moins, ça traçait la route aux indécis. 

"Tu te laisses toujours porter", aurait dit Eunha.

Est-ce que c'était mieux de faire comme elle et de travailler tout de suite ? J'avais entendu toute ma vie qu'il fallait faire des études supérieures. Peut-être, mais en tout cas, elle acquérait de façon exponentielle deux atouts indispensables dans notre monde moderne : de l'expérience professionnelle et de l'argent.

Quand la nuit tombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant