Nouvelles d'Ici et d'Ailleurs

La Librairie

Notes de l'auteure : Je serai bien en peine de vous dire d'où vient le sujet de cette nouvelle. Je l'ai écrite il y a maintenant un moment et je n'ai rien annoté de particulier sur mon fichier. Je suppose que l'idée s'était imposée d'elle-même, sans déclencheur bien spécifique. Tout ce dont je me souviens, c'est que le personnage d'Agathe a été créé alors que je venais d'apprendre que j'allais bientôt avoir une nièce (Agathe était un prénom envisagé, à ce moment-là).

Ce jour-là, comme tous les autres jours, Agathe pressait son nez contre la vitrine de la librairie. Avant, quand maman venait la chercher à l'école, elle se contentait de tourner la tête en marchant pour observer le plus longtemps possible l'intérieur. Mais cette année elle était grande – dix ans ! – et elle avait le droit de rentrer seule. Alors tous les jours elle pressait son nez contre la vitrine aussi longtemps qu'elle l'osait. Persuadée que si elle restait assez longtemps justement, elle verrait... quelque chose.

Malheureusement, ce qu'elle voyait ne changeait jamais. D'abord, quand elle approchait le visage, elle ne distinguait que son reflet : celui d'une petite fille aux jolies boucles châtain clair coiffées en couettes, aux dents légèrement en avant et aux yeux bleus écarquillés par la curiosité. Puis son front s'appuyait contre la vitre, ses mains se plaquaient près de ses tempes pour faire de l'ombre et elle pouvait enfin scruter l'intérieur.

C'était un peu sombre, dedans. La vitrine n'était pas très large et le magasin était compressé entre d'autres boutiques qui enlevaient toutes possibilités d'avoir des fenêtres. Il y avait bien des lampes mais c'était comme si les étagères avalaient la lumière. Parce que comme toujours, c'était tout ce qu'Agathe voyait : des étagères. De grandes étagères en bois sombre qui masquaient les murs du sol au plafond, aussi haut que si un étage avait été prévu, et qui croulaient sous les livres. Des livres incroyablement variés ! De toutes les tailles, de toutes les épaisseurs, avec de grosses couvertures cartonnées où le titre était gravé en lettres d'or ou au contraire avec une tranche délicate et recouverte d'une illustration attirante... Agathe aimait lire. Elle lisait bien et elle en était fière. Et elle voulait lire tous ces livres si mystérieux qui restaient insaisissables derrière la vitrine. Mais surtout, elle voulait trouver la porte.

C'était la bibliothécaire de l'école qui en avait parlé, la première fois que Mme Moinaud les avait emmenés dans le petit bâtiment gris à côté de l'école. Les autres enfants avaient retenu les bacs de livres, les tapis et les poufs où on pouvait s'asseoir, les affiches rigolotes et colorées. Agathe, c'était une simple phrase de la bibliothécaire qui l'avait marquée : « Les livres sont des portes, les enfants, des portes vers des mondes imaginaires. » Ensuite, elle avait parlé d'aventure, de dragons, de fusées, et Agathe s'était promis de trouver la porte.

Pour ça, elle avait fouillé avec application la bibliothèque scolaire. Elle s'y était rendue chaque fois qu'elle pouvait et, sous prétexte de trouver un livre intéressant, elle avait retourné les bacs, inspecté minutieusement les étagères et même soulevé quelques affiches représentant des livres, sans résultats. Agathe s'était rendue à l'évidence : la porte n'était pas dans la bibliothèque de l'école.

Une fois ce constat effectué, la petite fille avait pris soin d'observer toutes les bibliothèques sur son chemin, absolument pas découragée par l'ampleur de la tâche. Puis un jour, elle avait réalisé que la vitrine étroite et discrète cachée au milieu des magasins de vêtements qui égrenaient son retour à la maison renfermait une myriade de livres. La découverte si inattendue l'avait persuadée que ce qu'elle cherchait se trouvait là et pas ailleurs. Depuis ce jour, dès qu'elle passait devant elle scrutait l'intérieur. Pour essayer de voir quelque chose.