Rancœur 1/2

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C'est perdre de sa force
que de compatir
- Friedrich Nietzsche


Quand je rentre à la maison, la seule chose qui m'apporte de la baume au coeur, c'est ma petite-soeur.

Ruby ne comprend pas les problèmes des adultes mais elle les sent, comme de nombreux enfants. Et sa petite bouille irrésistible sait réconforter.

Je l'endors avec de retourner à la cuisine, où ma mère tire une longue taffe. Si elle fume, elle doit être furax. Pourtant, elle me regarde avec appréhension, comme si c'est ma réaction qu'elle redoutait.

- Tu m'as menti.

Elle ferme les yeux en entendant mes mots, presque soulagée qu'ils sortent enfin.

- Je suis désolée, Roxy. J'avais si peur que...

- Que quoi ? Que j'essaie de me venger de Blake ?

- Non, bien sûr que non. Je sais que tu n'es pas comme ça.

Tu n'en sais rien, ai-je envie de lui dire. L'accident a changé ta fille.

- Roxy, reprend ma mère, à quoi penses-tu ?

Sa mine soucieuse me fait de la peine.  Je pique sa cigarette pour l'écrabouiller dans le cendrier. Mais je ne réponds pas à sa question.

- Jonathan serait allé frapper Adam et cela a abouti à une bagarre, selon ses parents. Ce sont eux qui m'ont appelé il y a quelques jours pour me prévenir de la libération de leur fils. Crois-moi, je me sens révoltée que son enfermement ait si peu duré... Néanmoins, il est si jeune. Il a ton âge. Les jeunes font tous des erreurs. Je m'en veux de moins lui en vouloir. Car si je t'avais perdue... Je te jure que je l'aurais tué.

Ses paroles me donnent presque les larmes aux yeux. D'autre part, la mention de Jonathan m'irrite autant que celle d'Adam. Jonathan me harcèle sérieusement par messages, et cela dure depuis longtemps. Je dois cesser de me voiler la face : il va tout faire pour sortir avec moi et insister jusqu'à ce que je cède. Or je ne cèderai pas.

- Ne te mue pas dans le silence, s'il-te-plait, m'implore ma mère. Ta famille et tes amies s'inquiètent pour toi.

- Je ne veux pas qu'on s'inquiète pour moi. Je vais bien.

Son regard chagriné me fait comprendre qu'elle n'y croit pas. Cela me vexe au point que je monte me coucher sans rien ajouter.

Bien sûr, je fais souvent des nuits blanches et je ne monte plus dans aucune voiture. Mais je vais mieux. Je travaille. Je sors. J'ai pleins d'activités. Pourquoi mes proches considèrent-ils que je suis si fragile ?

J'ai l'impression que je le sais mais que je l'ai oublié. Il y a quelque chose en moi qui menace de ressurgir et de tout dévaster sur son passage. J'ai peur de ce que je pourrais moi-même provoquer.

🍁

Lorsque j'arrive à la librairie le lendemain, aussi morose que fatiguée par les appels insistants de Jonathan, je suis scotchée par le culot d'un fervent lecteur.

Adam Blake est adossé à la vitrine de la librairie, les mains dans les poches de son manteau et le nez dans son écharpe pour se protéger du froid.

Quand il me voir arriver, il se protège la joue :

- Si tu me frappes encore, je vais commencer à parler javanais.

Sa blague tombe à plat. Je n'en reviens pas. Je n'arrive même pas à parler.

Mon coeur se serre douloureusement. Sa trahison m'a profondément blessée, car je pensais avoir rencontré quelqu'un de bien... et ce n'était que le responsable de la pire catastrophe de ma vie. Comme dans mon passé volé, il me laisse toujours une amertume féroce.

- Je suis venu te parler, Roxane.

Je sors derechef de mon mutisme.

- Mon avis compte t-il si peu ? je m'emporte en rejetant mon vélo sur le côté. Tu n'as pas songé à un instant que moi, je ne voulais pas te parler ?

La tendresse qui brille dans son regard m'agace. Pourtant a t-il l'air de se soucier de moi alors que ça ne peut pas être le cas ? Je dois garder la tête froide.

- Mais il le faut.

- Je n'ai pas envie de te voir, Blake. Après tout ce que j'ai enduré, c'est la moindre des choses que tu me dois.

Il encaisse, moins stoïque.

- Roxane... j'en ai besoin.

Sa détresse me surprend mais je m'efforce de ne pas m'émouvoir.

- Je dois travailler. Et tu n'es plus là bienvenue à l'intérieur.

- Je peux attendre la fin de ta journée.

- Tu n'as rien de mieux à faire ?

Son sourire n'est pas joyeux, au contraire.

- Non, avoue t-il. C'est peut-être parce que je sens que je n'ai pas d'avenir que je me rattache autant à mon passé. Cette conversation a déjà trop tardé.

Ses mots me laissent perplexe. Je sens qu'ils vont rester gravés dans le patchwork confus qui me sert de mémoire. Alors j'entre dans la librairie et regarde Adam, assis sur un banc de la rue en face, un Harry Potter sur les genoux. Durant les heures qui suivent, je ne peux pas m'empêcher de l'observer comme s'il était irréel.

🍁

Gros retard mais je retrouve progressivement mon rythme ❤❤❤

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 08, 2020 ⏰

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