Le deuil

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La confrontation était inévitable, il ne pouvait pas s'enfuir à nouveau, et il ne pouvait pas continuer d'éviter ses parents pendant un autre mois. Il commençait de toute façon à en avoir marre de constamment fuir. S'il n'avait plus à fuir les monstres de X.A.N.A, il pouvait bien arrêter de fuir ses parents.

Ulrich et son père venaient de finir de repeindre le troisième mur de la nurserie quand ils entendirent un bruit de fracas à l'autre bout du manoir, accompagné d'un cri. Sans réfléchir, le père et le fils se ruèrent vers la chambre conjugale. Ils y trouvèrent Carole, étendue au sol, à côté d'un tabouret renversé. Son mari s'agenouilla à côté d'elle et l'aida à se redresser. Elle lui fit un petit sourire. « Je suis désolée, Walter. J'ai juste voulu attraper quelque chose en haut de l'armoire. Je vais bien ne t'inquiète pas, plus de peur que de mal visiblement ». Elle prononça cette dernière phrase en regardant son fils, qui était immobile. Elle remarqua qu'il fixait sa jupe, le visage livide. Elle ne comprit pas tout de suite pourquoi. Puis elle sentit quelque chose couler entre ses jambes.

« Tu t'es enfin décidé à quitter ta caverne, mon grand ? »

Le ton de son père était incertain, loin de l'assurance et de la froideur avec lesquelles il avait l'habitude de s'exprimer. Cela déstabilisa davantage Ulrich. Il n'avait pas l'habitude de voir son père aussi.. vulnérable ? C'était le moment idéal.

« Maman, cet homme te trompe. »

Les deux adultes échangèrent un regard surpris, avant de se mettre à rire. Ulrich était sidéré.

« Et vous trouvez ça drôle en plus ? C'est exactement pour ça que je reviens dans ce foutu manoir le moins souvent possible. Y'a quelque chose qui va pas chez vous ! Il faut vraiment que vous alliez consulter ! »

Ulrich senti la rage monter en lui. Alors qu'il ouvrit à nouveau sa bouche pour la déverser, sa mère prit la parole.

« C'est ce qu'on fait, mon chéri. Depuis plusieurs années. Mais tu sais, Ulrich, la thérapie ça ne marche pas toujours du premier coup. »

Ulrich resta bouche-bée, encore une fois incapable de comprendre.

« Ce n'est pas ma maîtresse que tu as vu sortir de mon bureau le jour où tu es rentré, Ulrich. C'est notre thérapeute. Et il est vrai que ce n'est pas la première. »

Ulrich s'approcha de la table de la cuisine autour de laquelle était assis ses parents et s'y assit lui aussi. Sa mère tenta de lui prendre la main mais Ulrich n'était pas prêt. Il n'avait pas eu de réel contact physique avec sa mère depuis le jour de l'accident. Après son retour de l'hôpital quelques jours plus tard, elle avait passé ses journées, seule, enfermée dans sa chambre, jusqu'à la rentrée scolaire. Ulrich avait été placé en internat à son entrée au collège, l'année suivante. Si son père l'avait laissé tranquille durant son année de CM2, la chute des résultats d'Ulrich dès le début de la sixième l'avait rendu très sévère sur la question. Trop sévère. Et cette sévérité, dénuée de toute affection, s'était progressivement étendue à toute leur relation, qui n'en était plus vraiment une.

« Je suis désolée, Ulrich. »

L'intéressé la fixa sans rien dire. Elle ne riait plus et avait, encore une fois, les larmes aux yeux. Son mari lui prit délicatement la main avant de s'adresser à son fils.

« Tu sais Ulrich, perdre ta petite sœur a été  difficile pour ta mère et moi, très difficile. Le problème, c'est qu'on pensait que tu étais trop jeune pour que cela t'affecte autant que nous, ce qui a fait qu'on t'a délaissé, en ne nous préoccupant que de notre chagrin. »

Ouch.

« On pensait que t'envoyer en internat serait la solution et que cela nous laisserait plus de temps pour nous en remettre, mais cela n'a pas été le cas. Je n'ai pas tout de suite compris pourquoi tes notes étaient aussi basses au collège par rapport à tes résultats du CM2. Je pensais que c'était parce que tu profitais d'être loin de nous pour faire n'importe quoi. Je suis désolé d'avoir menacé de t'envoyer en école militaire. Il nous a fallu du temps pour comprendre qu'on ne t'avait simplement pas laissé faire ton deuil correctement. »

Ulrich ne voulait pas y penser. Il ne pouvait pas y penser. C'était trop douloureux.

« As-tu fais ton deuil, Ulrich ? »

Le jeune homme se leva brusquement. C'était trop. Il avait besoin de prendre l'air.

Sa mère se leva et vint le prendre dans ses bras. S'il fut d'abord mal à l'aise, ayant perdu l'habitude de son étreinte, l'adolescent ne résista pas longtemps et laissa sa mère lui caresser doucement les cheveux, pendant que son père continuait de parler.

« Nous savons que nous avons été trop durs avec toi, Ulrich. Surtout moi. Mais, quand nous l'avons réalisé, nous avons d'abord cru qu'il était trop tard. Nous ne savions plus comment nous y prendre avec toi. »

Les larmes coulaient désormais le long des joues d'Ulrich.

« Ce n'était pas l'avis de notre premier thérapeute, mais son manque de compréhension face à la perte que nous avons connue a fait que nous avons du en trouver un nouveau. Ce qui n'a pas été facile. Peu de personnes sont capables de comprendre la douleur que représente la perte d'un enfant pas encore né, tu sais. »

Cela expliquait les différentes femmes qu'Ulrich avait vu sortir du bureau de son père. Il n'avait jamais pensé que sa mère pouvait également se trouver dans le bureau à ces moments-là.

« Seule notre thérapeute actuelle arrive à bien le comprendre. Elle nous aide depuis plusieurs mois à nous reconstruire, ta mère et moi. Mais tu sais, Ulrich, cette reconstruction ne sera jamais complète sans toi, notre fils. Il faut que toi aussi tu fasses le deuil de ta petite-sœur. »

Après avoir prononcé cette dernière phrase, Walter Stern n'ajouta rien. Le silence tomba sur la cuisine.

Ulrich finit, après de longues minutes, par se détacher des bras de sa mère pour faire face à son père. Il prit une profonde inspiration.

« Adelheid. Elle allait s'appeler Adelheid. »

Après Lyoko [Code Lyoko]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant