ENTRACTE 2

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Wakiza - 49 ans

J'étirai avec précaution mon bras gauche. Les muscles tirèrent et ceux de mon torse me firent grimacer de douleur. Elle était toujours présente, lancinante. Mais je ne pouvais pas attendre plus longtemps que mon corps se remît de l'agression qu'il avait subi. Meika remarqua l'expression de douleur sur mon visage mais ne fit aucun commentaire. Depuis ma sortie de l'hôpital elle me surveillait de près en essayant de se faire discrète : il était évident qu'elle n'approuvait pas ma décision de me lancer dans la bataille si tôt après avoir frôlé la mort.

- Tu veux vraiment être entendu aujourd'hui par le conseil ? Tu ne voudrais pas attendre d'être en meilleure forme pour le faire ? Tu penses être remis sur pieds mais tu grimaces dès que tu fais des mouvements trop amples avec ton bras gauche. Et tu t'es encore levé en pleine nuit pour prendre un anti-douleur...

Je soupirai avant de faire face à ma femme. Ses traits étaient tirés par la fatigue, mon état l'empêchait de dormir correctement et ses cernes pouvaient en témoigner.

- Le jour où on a accepté d'être tatoué, on savait que ça pouvait nous coûter la vie. Je ne suis pas mort ce jour-là grâce à la Sentinelle d'Argent et à présent, je dois faire tout mon possible pour l'aider. Si j'en meurs, qu'il en soit ainsi. Mais nous ne pouvons plus attendre pour rencontrer le conseil : les lignes bougent, que ce soit ici parmi les vivants, ou bien dans le monde des non-vivants. Naya est de plus en plus agitée et ses doigts tremblent tellement qu'elle a doublé son temps de fabrication de nos attrape-rêves ! Elle qui d'habitude est toujours si calme, quelque soit la situation...

- Je sais qu'il est urgent de rentrer en jeu mais je voudrais seulement que tu sois prudent. Tu n'es plus aussi jeune et dynamique qu'eux, il faut que tu te souviennes de ça.

Meika s'approcha de moi pour écarter l'ouverture de ma chemise. Elle observa tristement la cicatrice encore fraîche au centre du cercle rouge avant de le caresser distraitement du bout des doigts.

- J'ai eu tellement peur...

Sa voix n'était plus qu'un murmure empli de tristesse. Je plongeai mes mains dans ses cheveux pour attirer son visage peiné vers le mien.

- Quoi qu'il advienne, nous resterons ensemble. Tu sais que pour nous, la frontière entre les vivants et les non-vivants est beaucoup plus mince donc même la mort ne parviendra pas à nous séparer.

Ses yeux bruns chagrinés m'observaient, et je voulais à tout pris faire disparaître cette douleur de ces deux perles que j'avais passé des années à contempler. Mes lèvres s'emparèrent des siennes et je passais l'heure suivante à lui prouver que, bien qu'ayant frôlé la mort, je n'avais en rien perdu ma vigueur.

***

- Tu es sûr de toi ? Me demanda à nouveau Meika. Tu ne veux pas que je t'accompagne ?

Je hochai la tête en enfilant notre tenue traditionnelle avant de lui demander de passer voir Naya pour vérifier son état de santé et son agitation quant à l'autre monde.

J'avais la ferme intention en ce jour de faire entrer officiellement notre cercle dans la bataille aux cotés de l'Organisation des Sentinelles et contre la Secte. Nous avions passé un près d'un siècle en sommeil et il était temps de rassembler les troupes pour faire ce qui était inscrit dans notre sang, sur notre peau : honorer notre promesse de protection aux Originels. Le conseil que je devais absolument convaincre pour cela se composait de seulement cinq membres et il me suffisait d'en convaincre trois pour faire valider la décision. En théorie, ça avait l'air simple sachant que nous vivions avec le mythe des Sentinelles et des Originels, seulement dans les faits, nos jeunes étaient de moins en moins convaincus, ils préféraient soit les théories du complot sur les extraterrestres dans la zone 51 soit les preuves par la science. Peu avait gardé l'esprit imaginatif qui permettait ne serait-ce que de croire, rien que pour le plaisir, à quelque chose d'intangible dans la réalité. Malheureusement, à l'ère du numérique et de la consommation, la créativité et l'imagination étaient des choses qui avaient tendance à disparaître chez les enfants et les adolescents et adultes qui deviendraient si nous n'y prenions pas garde. Le plus dur serait donc de convaincre les plus jeunes membres du conseil, au nombre de trois. Il m'en fallait au moins un en ma faveur.

Nous y étions, ils étaient là, assis à la même table, face à moi, tous les cinq. Les deux plus âgés me souriaient, signe que leur accord était déjà gagné. En revanche, concernant les autres, leur air presque hostile ne me disait rien qui vaille. Le plus jeune, à peine la vingtaine, reposa son téléphone sur la table pendant que je me raclai la gorge avant de me lancer dans ma plaidoirie. Je pouvais peut-être le convaincre si comme une partie des jeunes de son âge il avait entendu parler de la Sentinelle d'Argent. Une lueur d'intérêt éclaira son regard quand son nom franchit mes lèvres.

Après le discours, venait la deuxième et ultime étape : les questions. Mina, la trentaine, commença avec un air très peu emballé.

- Vous voudriez mettre notre cercle à la disposition de chimères ? Qu'est ce qui vous fait penser que nous allons risquer la vie de nos membres pour courir après un mythe ?

- Tout ceci est loin d'être un mythe, c'est la réalité, notre réalité, et elle sera en péril si nous restons les bras ballants.

- La réalité ? Parce que vous avez déjà vu des gens en dehors des scientifiques, interférer avec la nature et sans outils de laboratoire ?

- Oui, et cette personne m'a sauvé la vie. Demandez à votre jeune voisin, je suis sûr qu'il a entendu parler de la Sentinelle d'Argent ou qu'il a vu des séquences de vidéo d'elle à Miami ou à San Francisco. N'est ce pas ?

Je vis dans son regard que si Mina n'était pas convaincue, lui l'était. J'avais réussi.

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Les Sentinelles 2 - L'Artefact PerduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant