chapitre 1

11.5K 1.7K 31
                                    


Aïcha Grey


— Monsieur le procureur, l'affaire Khadija Esther Ndiaye connaît de nouveaux rebondissements, bien qu'elle ait été résolue en 2015. Nous avons récemment été contactés par un détenu de la prison de Stateville, dans l'Illinois, aux États-Unis. Il affirme ceci : « Habib Seye n'était pas la dernière personne avec qui Khadija Esther Ndiaye s'est entretenue, mais bien Ndeye Arame Fall. » Ce qui fait de Ndeye Arame Fall une suspecte. La personne dit les avoir vues ensemble à 23 heures. Cela signifie qu'il y a une erreur dans le rapport du légiste, qui indique qu'elle est décédée à 22h18. À l'Institut médico-légal, les spécialistes n'ont pas fourni plus de détails après l'autopsie, se contentant de mentionner : « Décédée suite à des coups de couteau », sans même un relevé d'empreintes complet. Je sollicite une réouverture de l'enquête afin de faire la lumière sur cette affaire. Le procureur me regarda, un sourire sceptique aux lèvres. — Mlle Grey, cela ne peut en aucun cas justifier une nouvelle enquête. Si je me souviens bien, le mari a lui-même avoué le meurtre. — Il a nié avoir commit ce crime tout au cours de l'enquête et même à son procès , et à une seconde du verdict il a fait des aveux. Vous ne trouvez pas ça assez étrange.  Monsieur si vous me l'accordez , je tiens absolument à faire la lumière sur cette affaire. C'est important. Il soupira, lassé, avant de répondre : — Je vous donne 21 jours. Écoutez-moi bien, Mlle Grey : trois semaines, pas plus. Si d'ici là vous n'avez rien de concret pour prouver ce que vous avancez, vous n'aurez aucune suite favorable à votre demande. — Merci. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit si facile. Notre unité pouvait désormais agir pour coffrer le véritable assassin.


Par le plus grand des hasards, je mène des recherches sur cette affaire vieille de cinq ans : le meurtre de la célèbre mannequin Khadija Esther Ndiaye. Il y a quelques mois, quelqu'un nous a contactés pour nous dire qu'avant d'être portée disparue, Khadija était avec la maîtresse de son mari. Nous avons commencé à enquêter sur cette piste, en raison de l'implication de Ndeye Arame Fall dans cette affaire. Il s'est avéré qu'elle a rencontré la victime le soir de sa mort, un détail qui n'apparaît nulle part dans le rapport de police. Elle est impliquée jusqu'au cou, ce qui en fait une suspecte de premier plan. Arame a quitté le pays le soir même et n'est revenue qu'une seule fois depuis. Elle n'est jamais allée voir Habib en prison. Et d'après ce que nous avons appris, Habib lui avait fait comprendre qu'il préférait tout arrêter et essayer de reconquérir sa femme. Nous avons mené l'enquête sans en informer la cour. Et nous avons trouvé quelque chose de très suspect : le médecin légiste semblait mentir dans son rapport. Khadija n'est pas morte à 22h18. Cela contredit la version du témoin qui nous a contactés, selon lequel Khadija s'est rendue chez Arame à 23 heures. Je n'avais pas grand-chose quand je suis allée voir le procureur. Je voulais simplement son soutien pour poursuivre l'enquête légalement. L'affaire remonte à loin, et il est peu probable que nous arrivions à prouver quoi que ce soit. Nos chances sont quasi nulles. Habib refuse de parler, ce qui complique les choses. Il a été jugé sur la base d'aveux. Il avait plaidé non coupable, mais à la dernière minute, il a changé sa version des faits. Je suis presque certaine qu'on a voulu le faire taire. Et pour éviter que les mêmes personnes ne s'en prennent à ses enfants, nous avons décidé de mener l'enquête en toute discrétion.

SIÈGE : URIC (Unité de Recherche et des Investigations Criminelles

— Comme vous pouvez le voir sur ce tableau, il y a tous les membres de la famille Seye. Commençons par le début. Salim, un des membres de notre équipe, prit la parole : — Habib devait avoir 20 ans quand il est parti poursuivre ses études aux États-Unis. Après son diplôme, il a travaillé dans des magazines avant de lancer sa propre entreprise dans l'industrie de la mode. Il a créé sa propre marque de vêtements. Quelques années plus tard, il est devenu millionnaire. Ce genre d'histoire ne court pas les rues. Kader Seye, âgé de 57 ans, est le beau-père de la victime et PDG du consortium Glass Construction. Myriam Mattel Loum, 53 ans, est la mère de Habib. Dès son retour des États-Unis, elle a cherché à le rapprocher de Khadija. Elle a joué les entremetteuses et les a mariés. Habib a une tante, Ramata Sène, 48 ans, et un demi-frère, Aziz, 30 ans. Il a également deux sœurs : Kiné, 28 ans, juriste, et Mariém, 32 ans. — Je n'ai rien oublié, j'espère, conclut Salim. — Si, le personnel. — Ne soit pas pressé ma jolie, à la prochaine réunion c'est toi même qui me les présenterait.Salim me tendit une enveloppe que j'ouvris sans attendre. À l'intérieur se trouvaient une pièce d'identité, un permis, un diplôme et un CV au nom d'Aïcha Fall, enseignante de formation. — La famille Seye est à la recherche d'une institutrice pour encadrer la fille de la victime, une gamine en classe de 6e. Tu auras  toutes les qualités requises pour décrocher ce job Aïcha. Nous prévoyant de payer une formation accélérée en enseignement. Juste pour info, il faudra tout donner pour réussir l'entretien. Myriam Mattel est très exigeante en ce qui concerne l'éducation de ses petits enfants. — J'ajoute à la liste une séance de relooking, ajouta Raïssa, la subordonnée de Monica. — Nous devions faire venir et interroger Arame. Vu qu'elle ne s'est toujours pas présentée, le chef est allé la chercher. Ils ne devraient pas tarder, intervint Monica, l'une des rares personnes en qui j'ai confiance. C'est une très bonne amie et collègue depuis dix-huit mois. — Quant à moi, je sais ce que j'ai à faire. Aïcha Fall, enfin Salim... Aïcha Fall, Aïcha Grey, à quoi pensais-tu ? — À mon ex. — Ce n'est pas celle qui t'a plaqué au Nouvel An ? Ah non elle c'est ma préférée. Sacré Salim ! Une fois que j'eus fini de prendre connaissance de ma mission, je n'avais plus à traîner inutilement dans ces bureaux. Ma mère se faisait un sang d'encre. Elle avait essayé de me joindre je ne sais combien de fois dans la journée. Je lui avais laissé un message lui disant que je rentrerais tôt. — Salim, les filles, j'ai promis à ma mère de rentrer pour le dîner. Bye, vous me manquez déjà. À peine m'étais-je retournée que Salim me bloqua l'accès. — Où comptes-tu aller ? Il va falloir remettre ce dîner à plus tard, ajouta-t-il. — T'es lourd tu sais? — Tu te dois d'être là à chaque étape. C'est ton affaire, c'est toi qui es allée voir le procureur. Il y a d'autres affaires sur lesquelles nous travaillons. Reste là et faisons en sorte d'en finir dans les temps. Autre chose, Aïcha : tu es aussi chargée de te renseigner auprès du mari de la victime, actuellement en prison. Il te connaîtra sous ta véritable identité. — Et puis quoi encore ? — Ndeye Arame Fall arrive dans un instant. Écoutons ce qu'elle a à dire. Demain, nous nous occuperons de ta formation. Le temps joue contre nous. Arame se présenta au bureau l'instant d'après. Pour ne pas mettre en péril ma couverture, je dus me tenir à distance jusqu'à ce qu'ils aient fini de l'installer. Monica se chargea de l'interrogatoire. Elle lui posa une série de questions systématiques en rapport avec la victime. De l'autre côté, je pouvais les voir et entendre tout ce qu'elles se disaient. — Allez droit au but, je n'ai pas que ça à faire, lança Arame, agacée. — Étiez-vous avec Khadija Esther Ndiaye la nuit du 11 septembre 2015, à 23 heures ? demanda Monica. — Oui, je crois bien. — Pourquoi est-elle venue vous voir ? — Pour tout vous dire, je ne m'attendais pas à ce qu'elle vienne me voir. Elle a débarqué de je ne sais où pour me menacer. Elle a juré de s'en prendre à mon fils si je ne m'éloignais pas de son mari. — Et vous vous êtes battues ? — Je lui ai collé une baffe, et elle a riposté. Elle n'avait pas à mêler mon fils à ses histoires. — Et vous l'avez tuée ? — Évidemment que non ! Vous avez déjà votre assassin. Attendez... vous êtes en train de m'accuser, moi, de l'avoir aidé à commettre ce meurtre ? — Je n'ai jamais sous-entendu que vous avez fait ça à deux. — Bien sûr. — Maintenant que vous le dites... Vous et son mari, vous aviez une liaison. Voir Khadija morte, vous aurez empêché de vivre caché. Se débarrasser de l'épouse pour se retrouver et vivre votre amour au grand jour. — Khadija était encore vivante quand je l'ai virée de chez moi. — Pourquoi n'avez-vous rien dit à la police ? — J'avais un vol pour New York. Je suis partie parce qu'entre son mari et moi, il n'y avait plus rien. Ce n'est qu'après que j'ai su qu'elle avait été tuée. Et c'est bien fait pour cette garce ! S'il y a bien quelqu'un qui a quelque chose à voir avec sa mort, c'est Mattel... C'est elle, et Khadija, qui nous ont éloignés l'un de l'autre. Elles avaient payé mon mari pour me séduire et me faire quitter le Sénégal.


Myriam Mattel Loum?

—  Merci, vous pouvez partir. Mais ne quittez pas le pays, Mme Fall.


Nous en savions un peu plus. Mais cela ne signifiait pas pour autant qu'Arame était tirée d'affaire.

Scène de CrimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant