Chapitre 2

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Maimouna Seye (Mouna)


J'avais sept ans quand ma mère est morte. Je ne la connais qu'à travers de vieilles photos de magazines. Je ne me souviens que vaguement de son visage. Ma grand-mère ne me parle jamais d'elle, mes tantes non plus. Qu'est-ce qu'elle était belle, ma maman. 


Je vois mes camarades excitées à l'idée de venir à la fête accompagnées de leurs mères. — Ma mère m'a acheté une robe sublime, assortie à la sienne, avec des accessoires, disait l'une. — Moi, la mienne a écrit un discours de bienvenue et va distribuer plein de sucreries. Ce n'est pas pour rien qu'elle est présidente des parents d'élèves. Et parlant de tenue et d'accessoires, je vais vous en mettre plein la vue, ajouta une autre. À côté, il y avait Régina et Amy qui me fatiguaient avec ces histoires de mère et de tenue parfaite. Elles m'énervent ! — Est-ce qu'on pourrait parler d'autre chose ? dis-je à voix haute, exaspérée. — De quoi veux-tu qu'on parle ? rétorqua Régina. — Il y a la compétition demain, et je suis sélectionnée. Je me suis trop investie pour en arriver là. On est en finale, les filles. Franchement, je trouve ça beaucoup mieux que cette journée culturelle. — Mouna, ce n'est pas parce que tu aimes le basketball et tout ce qui est jeu de garçon qu'on est obligées de te suivre, lança Amy. — Laisse-la, Régina. C'est un garçon manqué, daray djiguen safouko. — Kholko (Non, mais regarde moi celle-là). — Mes parents disent que sa mère est décédée. Elle a été assassinée. Sais-tu par qui ? Son père. Et il est en prison. 


Depuis toute petite, j'entends les gens dire du mal de mon père. Certains disent qu'il a tué ma mère, ma grand-mère dit que c'est faux. Je ne sais plus qui croire. Encore une fois, je me retrouve confrontée à cette histoire. Ce n'est pas la première fois qu'on tient de tels propos à mon égard. Qui sont-ils pour me juger ? J'en ai marre d'être traitée de la sorte. Partout où je vais, on me rappelle à quel point ma vie est pourrie. 

Soudainement, je m'en suis pris à Amy. — Menteuse ! Tu n'es qu'une sale menteuse, Amy. Je te déteste, je te déteste, je te déteste. Tu me cherches ? — En fait, t'es jalouse. Tu ne supportes pas qu'on ait des parents et pas toi. Jalouse ! J'étais tellement hors de moi que j'ai bousculé cette sale menteuse d'Amy et l'ai attrapée par les cheveux. Je l'ai cognée si fort qu'elle criait : « À l'aide ! » Régina s'est interposée, et j'ai mordu son avant-bras. Elle n'a pas tardé à chialer, et moi, je n'ai pas perdu de temps. Je me suis retournée pour reprendre où j'en étais avec Amy. — Appelez la directrice ! Elles en viennent aux mains. Cette fille est complètement folle ! criait Régina. J'ai donné une bonne raclée à ces deux-là. J'espère qu'elles auront appris à se taire. Je les ai corrigées comme me l'a appris ma tante. Bien corrigées, même. — Mais qu'est-ce qui se passe ? Maïmouna Seye, toi encore ! J'en peux plus. C'est inadmissible. J'appelle ta grand-mère. La directrice m'a tiré l'oreille et m'a traînée jusqu'à la salle administrative. Je ne sais plus combien de fois j'ai été là-bas. Tellement je suis bagarreuse. Elle a passé des heures à me sermonner (« Ce n'est pas bien de se battre, cela ne sert à rien d'en venir aux mains, il faut tout régler à l'amiable, patati patata ») comme si ça servait à grand-chose. Je fais ce que je veux, où je veux et quand je veux. Personne ne me marche dessus. Kouma wout rk diot sama djiko. J'en avais marre d'entendre tout ça. En quoi suis-je responsable ? Parlant de cet homme, est ce qu'il mérite que je l'appelles père? Il a gâché sa vie et veut gâcher la mienne.  Je n'ai pas d'amies, ni rien de ce que les autres filles de mon âge ont. D'année en année, je subis du harcèlement, et jamais je ne me suis laissée faire. — Bonjour, madame Sagna. Désolée, j'ai eu un peu de retard. Comment allez-vous ? Bien, j'espère, demanda ma grand-mère. — Comment voulez-vous que j'aille ? Votre petite-fille nous crée des problèmes chaque jour que Dieu fait. Je n'en peux plus. Tout le monde se plaint d'elle. Devinez ce qu'elle a fait. Elle a gravement blessé deux de ses camarades. Elle a mordu Régina et cassé le bras de l'autre, Amy Bâ. Elles se sont retrouvées à l'hôpital. J'ai été obligée d'en informer leurs parents. On peut tolérer tout, sauf ce genre de comportement. — Madame la directrice, mettez vous à la place de la petite. Elle a eu une enfance compliquée. Vous savez vous-même ce qu'il en est. Alors, s'il vous plaît, donnez lui une seconde chance. Cela ne se reproduira plus. Je m'en assurerai personnellement. — Désolée, mais je serais dans l'obligation de la renvoyer de cet établissement. Ce n'est pas l'école qui fera d'elle une petite fille douce, calme et bien éduquée. C'est la énième fois que l'association des parents d'élèves m'en fait la remarque. — Je comprends tout à fait. C'est dans votre rôle d'assurer la sécurité de vos élèves. Cette petite me coûte chère. Bonté du ciel je sais pas quoi faire d'elle. — Grand-mère yaw tmt Foo dém yakh sama dér ! Madame la directrice, ce fut très excitant de vous angoisser et de vous mettre en conflit avec des parents d'élèves. Et laissez-moi vous dire que vous êtes laide, vieille et très commère. Vous n'avez aucun goût. Niveau style, vos vêtements sont démodés, vos chaussures sont archaïques, et votre coiffure... Non, mais franchement, qui vous a appris à faire ça ? Li mélné marché bou tass. J'ai toujours cru que vous étiez une sorcière, finis-je de m'attaquer à son physique, avant d'entreprendre de lui donner quelques conseils. — Maïmouna ??? s'écria ma grand-mère. Viens ici, tu vas voir ce que tu vas voir. Elle m'a traînée de la salle jusqu'au parking. Je suis montée dans sa voiture, où elle m'a tenu le même discours. — Il faut toujours que tu me crées des problèmes. J'en ai ras le bol. Chaque année, bagarre après bagarre, on te renvoie. Et moi, comme si je n'avais rien d'autre à faire, je me tue à trouver un établissement qui pourrait te compter parmi ses élèves. Maimouna, yeureum ma (Aie pitié de moi). — Ne t'en fais pas, grand-mère. On en trouvera d'autres. — D'autres ? Donc, tu prévois... Seigneur, venez-moi en aide. Mouna, tu te rends pas compte que tu as fait le tour des établissements de la ville ? — Super, ça me fera des vacances si t'en trouves pas. Grand-mère avait accéléré. Ça, je ne le voyais pas venir. Elle n'allait pas bien et parlait dans le vide. Et quand je dis ça, c'est qu'elle a une idée en tête. Et dans la plupart du temps, ça se retourne contre elle. Arrivée chez nous, j'ai retrouvé mon frère Assad dans sa chambre.
Aïcha Grey


Myriam Mattel m'a contactée d'urgence après notre entretien. Ça s'est bien passé. Je l'ai séduite. Je ne sais pas si je suis prise, mais je l'espère de tout cœur. Pour le bon déroulement de l'enquête, je dois me rapprocher le plus possible de cette famille. D'autant plus que Mattel est un suspect potentiel. Elle avait des raisons d'en vouloir à la victime. Si on se réfère à ce qu'a dit Ndeye Arame Fall, Mattel aurait tué Khadija parce qu'elle avait sans doute appris qu'elle allait divorcer de son fils. Ceci dit, Khadija allait dire à son mari qu'elle et sa mère l'avaient séparé de sa bien-aimée. Mattel était très proche de son fils, et cela ne devait en aucun cas les mettre en conflit. Après m'être préparée comme il faut, j'ai pris un taxi.Arrivée chez eux vers 14 heures, j'ai bien pris le temps de sillonner la cour avant de m'incruster dans l'enceinte de la villa. Une très belle maison avec un décor arabe, des tableaux muraux splendides et de beaux meubles. Je me suis présentée à la bonne. Elle revint accompagnée de sa patronne. — Aïcha, comment allez-vous ? Prenez place. — Bien, merci beaucoup. — Vous voulez quoi comme rafraîchissement ? Boisson gazeuse, jus d'orange ? — Jus d'orange, merci bien. — Fatou, du jus d'orange pour elle. Bon, je vous ai fait venir pour qu'on parle des conditions et des modalités de paiement. Vous devrez vous présenter ici vers 8 heures et terminer vers 18 heures. Vous serez responsable de la petite. Vous lui ferez à manger, vous ferez sa chambre, et le plus important, veillez à ce qu'elle soit prête à passer l'examen d'entrée en sixième. Ça vous va ? — Je suis une institutrice, et non une nounou, voulus-je lui faire comprendre. — C'est du pareil au même. Si vous ne voulez pas de ce travail, allez-vous-en. Ne me faites pas perdre mon temps. Elle m'a mise au fond du gouffre. J'avais besoin de ce travail pour mener à bien cette affaire. Je me devais d'accepter ces conditions, aussi esclavagistes soient-elles. — Oui, dinako meun (j'en serais capable). — Ça vaut mieux. Fatou, Fatou, mais où est-elle passée ? — Grand-mère, elle est sortie. C'est moi qui ai le jus, j'arrive lança une petite voix.
Mouna


Une institutrice ?? Grand-mère a frappé fort cette fois-ci. Je ne m'y attendais vraiment pas. Elle ne va pas me gâcher ces vacances. Cette bonne dame n'a qu'à être prête. Je m'apprête à la faire partir avec ce bon jus. — Mouna, qu'est-ce que tu fais ? Non, mais arrête, c'est méchant de faire ça, me surprit Assad, mon petit frère de 10 ans. — C'est du jus !! Bon, j'avoue, dans le mixeur, j'y ai mis du sel et du piment pour lui donner un goût exquis. — Mais elle t'a rien fait, et puis tu ne la connais même pas. — Ragal gua rk ! Pousse-toi, dégage de là. Je vais faire plus ample connaissance avec cette institutrice. J'ai pris deux verres et je suis allée la voir. — Bonjour, moi c'est Maïmouna Seye. J'ai 12 ans et je suis en classe de sixième. Et vous ? — Aïcha Fall. Je suis ta nouvelle institutrice. À première vue, elle est moche et si laide. Pour ne pas paraître trop bavarde, je suis allée à l'action. Je lui ai servi le jus d'orange tant attendu. — Merci, Mouna. — Tout le plaisir est pour moi. Ça me ferait plaisir que tu finisses le verre. C'est la première fois que j'en prépare. Elle a commencé à boire et s'est arrêtée à un moment. Je m'y attendais. Sûrement, les neuf piments que j'ai mélangés aux oranges ont commencé à faire effet. — C'est exquis. Grand-mère aimerait goûter elle aussi, fit-elle pour me démasquer. Mais elle ne sait pas qui je suis. — Bien sûr, Mamie aussi aura droit à ce bon jus fait avec beaucoup d'amour. En lui servant à boire, j'ai fait tomber le verre de jus. Et bien sûr, je l'ai fait exprès. — Je suis désolée. Je suis maladroite. — Ce n'est rien. Fatouuu... — Oui, badiéne. — Kay fomp fii. Et pour en finir une bonne fois pour toutes avec cette institutrice, je suis allée récupérer son verre. Grand-mère était occupée à donner des instructions à Fatou. J'ai récupéré le verre et j'ai arrosé son tailleur avec ce qui restait. Sûre qu'elle allait démissionner. — Je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée, me mis-je à pleurer expressément. — Ça arrive, ne t'en fais pas. Alors là, je ne sais plus quoi faire. Elle n'a pas craqué après tout ce que j'ai fait. Je pense avoir à faire à une dure à cuire.
Aïcha Grey


Ma bouche était en feu. Quand je suis sortie de cette maison, la première chose que j'ai faite, c'est m'acheter une bouteille d'eau. Ça faisait au moins 50 ml, et j'ai tout bu d'un trait. Cette Mouna, oh, elle m'a bien eue. Je me sens toute bête là. En plus, c'est une gamine de 12 ans, pourrie et très joueuse. Je m'apitoyais sur mon sort, ma bouche toujours en feu. Ça piquait, aïe ! J'allais prendre un taxi quand le chef m'a contactée. — Aïcha, j'ai l'autorisation du procureur pour interroger Habib. Tu peux te rendre à la prison. Tu sais déjà ce que tu as à faire.

Scène de CrimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant