Chapitre 1

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Jour Z-1
Salle 209, Lycée Jules Ferry, France. Neuf heures trois.



     Alarme. Portes qui se claquent. Volets qui se ferment. Lumières qui s’éteignent. Alarmes. Et souffles rapides.

     Les élèves de Terminale L n’étaient pas comme à leur habitude assis sur leurs chaises, écoutant M.Sanieux et ses cours d’Histoire. Non, ce jour-là, ils se retrouvèrent en dessous de leur table, collés contre le sol, sans un bruit, ni un geste. L’alarme catastrophe avait retenti, et quelques minutes après, l’alarme terroriste. Les deux se mélangeaient pour créer une symphonie qui aurait été insupportable pour n’importe qui. Pire encore que les cours de philosophie de M.Bory, pire encore que les derniers titres de Jul, pire encore que d’entendre Despacito pour la millième fois.

     Estelle couvrait ses oreilles avec ses mains. Ses cheveux clairs et épais étaient collés au pied de sa table. De nature logique et objective, elle essayait de comprendre ce qu’il se passait, en vain. Elle n’arrivait pas à réfléchir. Ses pensées étaient recouvertes par la mélodie infernale qui sortait des enceintes de l’établissement. Elle aurait préféré passer des heures, des jours, des mois, à écouter les cours d’histoire barbants de M.Sanieux ou de M.Bory. Elle regarda autour d’elle. Il devait y avoir une explication.
Ses dessins étaient par terre, en dessous des corps pétrifiés de ses camarades. Ces feuilles, elle les remplissait pendant les cours de M.Sanieux, non pas parce qu’elle détestait l’Histoire et la Géographie. Au contraire, son cerveau aurait pu réciter des centaines de dates exactes, les noms de chaque président Américain, des faits historiques depuis la Préhistoire jusque nos jours, chaque capitale et chaque région du monde, sans à avoir à écouter. Elle venait seulement en Histoire, et aux cours en général, pour ne pas avoir de billet d’absence, et pour finir quelques détails de personnages qu’elle créait pendant ces heures. Son cerveau retenait mieux en apprenant toute seule dans le calme de sa chambre, ou en dessinant, c’était juste un fait. Elle était juste un peu triste que ses personnages se retrouvent chiffonnés et salis par le sol. Mais elle s’en fichait, comprendre l’origine de ces alarmes était sa priorité.

     C’était sûrement une erreur. Quelque chose qui avait disjoncté. Une mauvaise manipulation. Un élève faisant une blague. Rien d’autre n’aurait pu expliquer ce chaos.

     Elle se calma petit à petit, essaya de contrôler sa respiration, et décida de se lever pour se diriger vers la porte de sortie. Mais deux petits yeux noirs lui attrapèrent le bras, pour la recoller au sol. Ils étaient remplis de peur et d’inquiétude. Estelle regarda sa meilleure amie Gul, parfaitement immobile sur ce sol beige, presque en pleurs. Seul son regard lui parlait. Estelle comprenait que Gul aurait bien aimé croire que c’était une erreur aussi. Mais la petite était trop prudente, trop peureuse, trop psychotique pour risquer cette pensée. Peu importe la situation, s’il y avait même zéro virgule zéro un pour cent de probabilité de danger, elle n’aurait pas pris de risque.

     Estelle lui prit la main pour la calmer. Cela semblait fonctionner, car la petite regardait aussi autour d’elle maintenant. Elle cherchait le professeur, mais ne vit que deux jambes dépasser du bureau. Elle aurait bien aimé l’appeler, lui demander ce qu’il se passait, mais il ne fallait pas parler. Pas un mot. Pas un bruit. Pas un souffle. Dire qu’une heure avant, il était là devant eux, à raconter la Seconde Guerre mondiale, pendant qu’elle se moquait gentiment de lui et de son horrible accent anglais.
Gul faillit rire. Se distraire était le seul moyen pour elle de se calmer. Elle observa encore son professeur. M.Sanieux, dans cet état, semblait encore plus peureux qu’elle. Ce grand monsieur charismatique et mature, aux cheveux gris et soyeux, était recroquevillé comme un enfant devant eux. Elle fit une note mentale, de lui ressortir ce moment quand tout redeviendrait normal, quand elle pourrait de nouveau gentiment se chamailler avec. Gul le voyait souvent plus comme un ami ou comme un pote, mais là, les élèves avaient besoin de lui comme un guide, une personne sur qui compter, et qui sache comment réagir. Mais il ne bougeait pas. Seules les aiguilles de l’horloge avançaient.

     Les alarmes cessèrent ; il était bientôt dix heures.

     Normalement, il fallait encore attendre que les membres de l’administration passent dans les couloirs avec leurs gros mégaphones, leur informant qu’il n’y a plus aucun danger. Mais personne ne vint jamais.

     Après quelques minutes dans le silence complet, M.Sanieux se leva, enleva la poussière de sa chemise noire, passa la main dans les cheveux, et dit d’une voix basse :
« Bon les affreux, je ne sais pas ce qu’il se passe. J’ai essayé de contacter les autres professeurs, les gens de l’administration, et des personnes extérieures… Mais rien (il prit sa bouteille et bu une gorgée d’eau). Ça ne veut pas dire qu’il n’y a aucun danger, au contraire. Mais à un moment, il faut aller voir… (il serra la bouteille dans se mains). Et c’est bientôt l’heure de la récré… Alors, qui se dévoue ? »
Les élèves le regardaient sans comprendre. Personne ne savait s’il blaguait ou pas. Bien sûr que ces « affreux » voulaient sortir, surtout Priscilla, dont la vessie la menaçait d’exploser si elle ne se rendait pas aux toilettes rapidement. Mais ils étaient tous terrifiés.

« Enzo… chuchota Priscilla juste assez fort pour que seul son ami puisse entendre, j’ai envie de pisser… »
     Le garçon de deux mètres se mit à rire sans bruit. La seule chose qui montrait qu’il riait était sa main devant sa bouche, essayant de taire quelconque son qui aurait pu y sortir. Il se baissa pour s’approcher de l’oreille de son amie.
« Bah vas-y, sors », il pointa du doigt la porte.

     M.Sanieux les regardaient avec un petit sourire. Il aimait bien les embêter, assumant qu’ils étaient en couple ou qu’ils s’aimaient bien, comme tout le monde d’ailleurs. Les seuls qui savaient que c’était impossible entre eux étaient leurs amis les plus proches, comme Estelle et Gul, qui les voyaient comme frère et sœur et rien de plus.

      Le professeur fit un geste à Priscilla, lui montrant la porte. Mais elle recula sans s’en rendre compte, fit les gros yeux, devint toute rouge, et dit non de la tête. Enzo continua à se moquer d’elle, et Priscilla commença à lui mettre des coups dans les côtes. Ils étaient repartis pour une bataille de doigts, qu’ils utilisaient comme sabres lasers imaginaires.

     La sonnerie qui annonçait le début de la pause retentissait dans tout l’établissement.

« Bon, je suppose qu’il faudrait sortir...». Un bruit assourdissant coupa M.Sanieux.

      Pas rapides dans les couloirs. Cris. Martèlement sur la porte de la classe.

     Toute la pièce était pétrifiée. Personne ne bougeait. Tous les yeux étaient rivés sur cette porte, sur ces coups. Quelques-uns se mirent à pleurer doucement, d’autres à ranger leurs affaires, et certains commencèrent à se cacher de nouveau derrière leur table. Derrière cette porte, il y avait quelque chose. De dangereux. Tout le monde le savait maintenant.

     Mais une personne se dirigea vers cette porte, après avoir dérobé les clés au professeur. Elle s’arrêta pendant une seconde devant cette planche en bois. Elle allait le faire. Elle allait y insérer les clés. Elle allait laisser entrer le danger. Et personne n’était assez rapide pour l’en empêcher.

     Les coups s'arrêtèrent.

     Dans cette classe, à dix heures du matin, la seule chose que l’on pouvait entendre était le bruit de clés ouvrant une porte. Et c’était le son le plus effrayant que ces élèves n’avaient jamais entendu.

Zombies à Jules FerryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant