Chapitre 5

18 4 3
                                    

JOUR Z-2

Salle 218, Lycée Jules Ferry, France. Dix-huit heures trente.



Silence. Froid. Mais pas de mort.

Gul resta immobile les yeux fermés pendant quelques instants. Elle allait mourir, elle le savait, mais pourquoi rien ne se passait-il ? Pourquoi le monstre derrière elle ne lui sautait-il pas dessus, comme les autres créatures l’avaient fait pour ses camarades ? Et pourquoi ses amis ne bougeaient-ils toujours pas ?

« Celui qui vit dans la crainte, ne sera jamais libre. », un chuchotement familier souffla dans la nuque de la petite.

Frissons. Surprise. Soulagement.

« Mme.V-Vitrain ? », Gul bégaya en se retournant, espérant voir la professeure de philosophie qu’elle adorait. Mais non, aucune chevelure rousse, aucun sourire bienveillant. C’était bien un monstre qui était derrière elle. Plein de sang. Plein de blessures. Mais immobile. Gul recula d’un coup, se cacha derrière Enzo et Estelle, et observa longuement la scène. Mme Vitrain était bien là, à côté du monstre. Et elle le tenait… avec une corde ? Il avait un bandeau sur les yeux ? Le monstre était ligoté !? Qu’est-ce qu’il se passait !?

« N’ayez pas peur, il ne vous fera rien, murmura la professeure, regardant ses élèves avec des yeux doux. C’est un brave garçon, il a toujours été bon élève, et n’a jamais fait de mal à personne, soupira-t-elle longuement. Asseyez-vous, vous devez être fatigués. »

Le groupe d’amis, toujours sous le choc d’une telle vue, fit ce que leur professeure demanda. Gul et Enzo s’assirent le plus loin possible du monstre. Ils n’osaient même pas le regarder. Un tel corps mutilé les faisait trembler.

Au contraire, Priscilla, Estelle et Manon ne pouvaient pas s’empêcher de le dévisager. Elles étaient sûres. Les monstres des couloirs ressemblaient bien à celui qui était là… à deux mètres d’elles. Manon voulait même s’approcher, une telle chose piquait sa curiosité.

« Qu’est-ce que c’est ? demandèrent les grands yeux qui admiraient le monstre.
— Un élève, répondit simplement Mme Vitrain, toujours avec ce même sourire bienveillant.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? continua Manon les sourcils froncés.
— On parlait de son orientation et puis quelqu’un est rentré… il y a eu un petit accident. Mais rien de grave, il va bien. »

« Il va bien, mon cul », pensa Estelle. Le garçon ligoté était blessé, couvert de bleus, de sang, de morsure. Et il allait bien ? Elle se foutait de leur gueule ? Ce qu’elle disait n’avait pas de sens. Ce qu’elle faisait non plus. Elle était là, devant eux, à se tenir comme s’ils étaient en cours. Prête à citer des philosophes comme elle avait cité Horace un peu plus tôt. Prête à répondre à leur question sur Platon, Rousseau, Sartre. Prête à lâcher la corde aussi. Le Cerveau n’était pas dupe. Elle avait vu la main du professeure jouer avec le bout de ficelle. La chevelure rousse attendait le bon moment. Qu’est-ce qu’elle était en train de penser au juste ?

Horloge. Obscurité. Pleurs.

Gul, au fond de la classe, ne pouvait pas s’empêcher de pleurer. Mais à chaque fois que Priscilla ou un autre demandait si elle allait bien, elle ne répondait pas. Il fallait la laisser seule un moment. À vrai dire, tout le monde en avait besoin.

La salle avait une sorte de pouvoir magique. Les portraits des philosophes sur les murs les interrogeaient. Les diverses citations autour d’eux les questionnaient. Le silence de la pièce faisait travailler leur cerveau à mille à l’heure. Et leurs pensées n’arrivaient pas à s’arrêter. M.Sanieux. Les camarades. Les monstres. « De ma faute. De ma faute. De ma faute ». Ces trois mots résonnaient dans la tête d’Estelle. Plus fort que les alarmes. Ça l’empêchait de se concentrer totalement sur la corde. Elle ne pouvait que serrer les poings. Elle ne devait pas montrer aux autres qu’elle avait peur. Surtout pas à Mme Vitrain. Surtout pas.

Frissons.

Ils devaient sortir. Leurs pensées les étouffaient.

Estelle comprenait M.Sanieux maintenant. Mais le désir du professeur et le sien de s’échapper le plus rapidement possible les avait conduits jusqu’ici. Même si l’historien s’était inquiété pour ses élèves, il avait été le premier à prendre ses jambes à son cou en voyant les monstres du couloir. « Le salop », pensa-t-elle. Mais elle ne pouvait pas s’empêcher d’y penser. Aurait-elle fait la même chose à sa place ? N’aurait-elle sauvé que sa propre peau ? Si Priscilla n’était pas venue, aurait-elle suivi le vieux ?

Zombies à Jules FerryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant