En dehors de toute relativité du temps, Eva se laissa bercer par les sensations si agréables qui coulaient dans son corps. Pas de tiraillements, pas de picotements, pas de déchirements...
Simplement son sang qui bouillonnait dans ses veines. Son cœur qui battait dans le plus grand calme. Sa peau qui régulait sa température pour lui offrir un doux cocon de bien-être.
Puis, quand elle fut rassasiée de confort et de douceur, elle réussit enfin à se lever.
L'appartement de Chess, plongé dans une semi-obscurité, lui sembla n'être qu'un musée délaissé par ses visiteurs. Tout lui sembla froid, terne, sans vie.
Pourtant, un point à l'horizon accrochait son regard.
Eva se rapprocha de la bulle panoramique, flottant sans entraves sur le sol glacé du loft. Elle laissa les charmes d'Amaterasu lui brûler les yeux. Elle était si belle, si chaleureuse, si accueillante. Pourquoi personne ne lui rendait-il visite ? Pourquoi était-elle si seule ?
Petit à petit, et plus elle observait cette planète distante, plus le cœur d'Eva se serra. Elle voulait la voir de plus près, elle voulait fouler son sol, courir telle une pionnière sur ses terres argileuses.
Eva tendit la main pour se rapprocher de l'astre.
Aussitôt qu'elle eut touché la vitre, son bras s'engouffra au travers. Elle paniqua, sa main tremblant dans le froid glacial du vide interstellaire. Elle voulut crier à l'aide, mais l'espace, de sa noirceur implacable, l'aspira tout entière en moins d'une seconde.
Une fois à la merci du néant, délivrée de la bulle protectrice de l'Oasis, Eva perdit toute capacité de contrôle. Elle crut d'abord étouffer, mais plus rien ne sortait ni n'entrait dans son corps. Elle flottait dans l'espace, comme si elle était faite de la même essence, aussi vide, que tout.
Au loin, la belle Amaterasu l'appelait.
Elle l'appelait si bien, si fort, qu'Eva fut attirée vers elle comme un aimant. Alors qu'elle planait de plus en plus vite vers elle, elle ressentit une terrible peur. Une angoisse primordiale. Une terreur de l'inconnu.
Le cœur d'Eva palpitait à tout rompre, accélérant en même temps que son vol en direction de la planète.
Bientôt, Amaterasu envahit tout son champ de vision. Elle pouvait voir les crêtes de ses montagnes, sentir les vents des hautes altitudes lui gifler le visage. En un rien de temps, elle s'écraserait sur sa surface et plongerait jusqu'au cœur de son noyau gravitationnel.
Un cri s'échappa de sa gorge. Terrorisée, Eva ferma les yeux.
Puis, lorsqu'elle sentit soudain la douce chaleur qui s'infiltrait sous ses pieds, elle les rouvrit.
Elle se trouvait les deux pieds sur terre. Sur le terreau d'Amaterasu.
La planète l'accueillait comme une enfant perdue, telle une mère aimante, l'enroulant de sa chaleur tiède et de ses douceurs matérielles. Lui offrant son cœur sans concession.
Eva fit plusieurs fois le tour d'elle-même, ébahie par la beauté simpliste du paysage.
Alors qu'elle ressentait un bonheur incomparable, le plus incroyable des bonheurs qu'elle n'ait jamais ressentis, Eva eut pourtant encore de quoi se réjouir.
Un peu plus loin sur la terre argileuse, une portion de surface était verte. Elle n'en crut pas ses yeux, mais plus elle se rapprocha, plus il devint clair qu'il s'agissait d'un immense champ de culture s'étendant à perte de vue.
L'urgence de cette découverte lui fit accélérer le pas. Eva se mit à courir en direction des longs brins d'herbe, puis s'arrêta net à la lisière du champ. Elle admira la nature fertile qui poussait devant elle, et la vision fut si stupéfiante qu'elle en tomba à genou.
Ensuite, Eva ne put retenir un rire. Elle s'esclaffa sans retenue, aussi éblouie que reconnaissante.
Elle fut prise de sursauts et rit ainsi à gorge déployée au point d'en perdre le souffle et la raison.
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Réveil. Lit. Studio. Gravité.
De son corps las, Eva sortit de son voyage fabuleux. Un sourire persistait sur ses lèvres, comme un résidu de bonheur si puissant qu'il transcendait le rêve.
Elle voulut y retourner, revoir cette planète si accueillante, mais le sommeil n'était plus possible. Elle se leva donc, et débuta une nouvelle journée, ou soirée, qu'importe.
Y'avait-il encore la moindre importance à tout cela ?
Tant que les habitants de l'Oasis vivraient dans l'attente, ils n'auraient aucune vie, aucun projet, aucun avenir en tête. Ils n'avaient qu'à laisser le temps s'écouler, et attendre le jour où, peut-être, Amaterasu voudrait bien d'eux.
Les jours qui suivirent furent emplis de cynisme pour Eva.
Elle n'avait jamais vraiment eu l'impression de perdre espoir. Elle s'était toujours dit que la bonne nouvelle arriverait lorsqu'elle ne s'y attendrait pas.
Pourtant, depuis l'arrêt de la course et surtout depuis son introduction à l'élixir, chaque jour, l'espoir semblait s'enfuir d'elle. Elle ne pouvait pas le retrouver ailleurs dans l'Oasis. Pas chez ceux qui priaient au temple, ni chez ceux qui organisaient des groupes de discussions. Le seul endroit où elle pouvait ressentir ce reste de flamme désormais, c'était dans les bras de l'élixir.
Étrange paradoxe.
Alors, Eva continua de se rendre chez Chess, et il continua à lui administrer ce délicieux et pernicieux cocktail.
Son état se stabilisait. Elle restait en stase, toujours accompagnée de son syndrome, mais encore un jour de plus capable de mettre un pied devant l'autre.
Bobby parvenait même à la faire sortir parfois. Maintenant qu'Eva ne craignait plus de crise, elles montaient ensemble jusqu'au grand hall, et admiraient la vue de l'espace pendant des heures. Elles se rendaient aussi à l'Absinthe, mais Chess, lui, s'y montrait de moins en moins.
Ses longues conversations avec l'inventeur manquaient un peu à Eva. Elle avait eu l'impression à un moment donné d'avoir établi une véritable connexion avec lui, mais en réalité, Chess lui filait entre les doigts. Lorsqu'ils se voyaient, ce n'étaient que pour la soulager pendant une crise : elle ne restait pas longtemps consciente, et il repartait aussitôt dans son laboratoire.
Lors de ses visites, Chess semblait chaque fois un peu plus éteint, et Eva ne parvenait toujours pas à le cerner. Cela devenait frustrant pour elle, qui s'était pourtant beaucoup ouverte à l'homme ces dernières semaines, lui dévoilant les plus profondes de ses fragilités.
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Wonderwall [nouvelle SF]
Science Fiction" Pour contrer l'ennui et la démence, il n'y avait que trois activités possibles à bord de l'Oasis : la course à pied, les jeux d'argent et l'Absinthe. La première était un sport hautement réputé qui s'organisait en équipes rivales et qui rythmait l...