Nikita

Chapitre 5

Posté devant le plan de travail, un caleçon sur les hanches, Majid coupait des fruits. Il le faisait quasiment tous les matins parce qu'il il adorait commencer sa journée par un petit-déjeuner varié, là où Nikita se contentait d'un sachet de biscuits et d'une tasse de café. Dernièrement, il s'était d'ailleurs mis au thé car Majid en buvait beaucoup et possédait un peu trop de sortes différentes pour un homme vivant normalement seul. Nikita adorait farfouiller dans son étagère et renifler chaque boîte avant de choisir celui qui agrémenterait sa journée.

Pour le moment, il restait caché dans l'embrasure de la porte, le regardant s'activer, silencieux et discret. Tous les matins, Majid se levait bien avant lui pour aller courir, et après avoir pris sa douche, il entamait la préparation du petit-déjeuner. Nikita choisissait toujours ce moment-là pour se lever, et parfois, il restait dans le couloir pour le regarder. Simplement le regarder.

Dans la cuisine baignée de lumière, la silhouette massive de Majid lui faisait penser à ces statues grecques qu'il voyait dans les musées. Son corps solide et magnifiquement dessiné dégageait une force peu commune qui lui donnait à la fois l'envie de s'y blottir et de le fuir. Il aurait pu le briser comme d'un rien. Une simple pression et Nikita pourrait finir à terre et ne plus jamais se relever.

Un simple regard, et Majid pouvait le réduire en miettes. Lui et son petit cœur, qui ne battait plus que pour lui.

Majid était magnifique. Il l'était dans chaque aspect de lui-même. Et quand Nikita l'admirait ainsi, si beau dans la lumière du jour, si parfait dans les tâches si simples, il se demandait ce qu'il faisait là. Ce qu'il avait fait pour mériter un bonheur pareil.

Pour mériter le droit d'aimer un homme comme lui.

***

En dépit de nombreuses invitations, Nikita n'avait jamais mis les pieds dans cette boîte de nuit. Après son départ du club, il lui avait fallu un bon moment pour se réconcilier avec le monde de la nuit. L'idée de danser au milieu d'autres hommes le mettait curieusement mal à l'aise, et ce n'était pas Majid qui allait le motiver à sortir. Nikita avait déjà eu tellement de mal à le faire entrer dans des bars gays, qu'il fréquentait à présent sans aucun complexe, qu'il ne se voyait absolument pas aborder un tel sujet avec lui. En fait, c'était Baptiste qui lui avait redonné l'envie de danser en les invitant tous les deux à boire un verre et s'amuser un peu en boîte.

Bon, pour être honnête, cette sortie fut un fiasco. Peu de gens s'en rappelaient car ils étaient tous aussi pétés les uns que les autres, mais Nikita pouvait se remémorer sans mal à quel point son homme s'était montré gauche, crispé et très clairement désagréable. Il n'était pas parvenu à se détendre, et encore moins à trouver sa place dans cet endroit qui ne lui correspondait pas. Ils avaient fini par partir avant les autres, l'un en colère et l'autre la tête basse. Une fois à la maison, Nikita s'était enfermé dans la salle de bain et avait pleuré un bon moment. Il avait tellement bu pour oublier la connerie abyssale de son petit ami qu'il avait fini allongé par terre à se tenir le ventre.

Majid s'en était beaucoup voulu. Nikita se portait bien mieux à ce moment-là et leur vie tournait si bien qu'il n'avait su accepter ses propres envies et laisser ses préjugés de côté. C'en était arrivé à un point où son égoïsme avait pris le dessus sur tout le reste. Son égoïsme, et cette homophobie latente qui faisait mal, parce que Nikita l'aimait éperdument et ne comprenait pas comment il pouvait être aussi gentil à la maison et si exécrable en dehors.

Le travail avait été long. Beaucoup trop long. Mais ils avaient tenu, parce qu'ils s'aimaient. Au final, Majid n'avait pas tellement changé. Il avait toujours un problème avec certains gays et ne pouvait pas piffer les strip-teaseurs. Enfin, surtout ceux de son gabarit qui pourraient lui faire de l'ombre et draguer son mec. Cependant, il avait su s'ouvrir aux autres hommes, comprendre davantage cette communauté à laquelle il appartenait et envisager l'amour comme quelque chose d'épanouissant et non pas de honteux.