Chapitre 40

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— Des réfugés iélians ? répéta Ludwig, abasourdi. Ici, à Corenthe ? 

Eleim hocha lentement la tête :

— Avec la reprise de la guerre qui approche, ils sont de plus en plus nombreux à braver la chaîne des Lidas pour rejoindre les pays du Sud. On retrouve de plus en plus de cadavres pris dans les glâces, selon mon confrère de Pacilac. La plupart viennent s'installer par ici, traversant parfois l'Elfregir à la nage. 

Edward écouta en silence : ayant lui même dû traverser les montagnes pour rejoindre Salis, il savait à quel point elles pouvaient être mortelles. Le nombre de fois où il avait failli tomber dans un ravin ou mourir gelé dans une grotte, par une nuit glaciale le faisait encore cauchemarder. 

— Mais pourquoi prendre un tel risque ? demanda-t-il en baissant les yeux. S'ils voulaient fuir la frontière, pourquoi ne pas être allés au nord ? 

— Certains d'entre eux pensent que l'Empire perdra la guerre, répondit le Bouclier. D'autres que la vie sera plus simple de l'autre côté. Leurs raisons sont nombreuses et, d'ailleurs, ne sont pas toujours liées au conflit. 

Cette idée perturba un peu Ludwig, sans vraiment savoir pourquoi. Il soupira pourtant, jetant un petit regard par la fenêtre :

— Je les comprends... La vie ici est bien plus belle que là-bas. De toute manière, c'est toujours mieux que de vivre sous le joug du Tyran. 

Eleim posa le regard sur le jeune homme, perdu dans ses pensées alors qu'il observait le ciel bleuté. Sous son heaume, il plissa très légèrement les yeux, sans rien ajouter pour autant. 

— Et le Conseil accepte la présence d'immigrés iélians à Corenthe ? s'enquit Edward en jetant un regard aux manifestants. Au risque d'amplifier le nombre de plaignants ?  

— Pour le moment, oui. Mais ne vous y trompez pas : Orhélo est un district extrèmement surveillé et ses habitants sont contraints à l'isolement par certaines règles. Pour le bien des habitants de Corenthe autant que pour le leur. Comme vous le voyez, tous ne cotionnent pas leur présence. 

— C'est une situation délicate... 

— Voilà pourquoi nous avons des conseillers : pour s'occuper des "situations délicates". Pour le moment, ils s'en sortis. Espérons que cela continue.

— Et les Boucliers du Royaume, ajouta Ludwig, n'ont-ils pas le devoir de régler ce genre de problèmes ? 

— Nous n'avons pas de pouvoir administratif en dehors de notre fief, et Darmun, celui où nous nous trouvons, est contrôlé par le Roi lui même, aidé du Grand Conseiller, répondit Eleim. Nous pouvons bien évidemment donner notre avis, écouté du fait de notre position, mais nous n'avons aucun droit de décision. Pour ce qui touche à Corenthe, en l'absence du roi ou de son héritier, nous devons nous soumettre au Conseil. 

Ludwig hocha la tête pour lui faire comprendre qu'il avait compris. Salis était décidemment organisée d'une bien étrange manière... Il admira cependant l'ouverture d'esprit du pays qui laissait dans sa capitale le peuple ennemi. C'était là quelque chose d'impossible, en Iélia. Vaelis était un lieu d'élites qui ne cautionnaient même pas ceux de leur propre pays, alors des étrangers... 

Mais ici, ils avaient probablement une chance de cohabiter : ce n'était, après tout, qu'une petite poignée d'habitants qui se refusaient à ouvrir les yeux sur l'évidente proximité des deux peuples. Ils finiraient bien par s'entendre, il fallait juste laisser au temps ces menus soucis. Il les effacerait bien assez vite. 

L'enchanteur s'étira douloureusement, fatigué par ces réflexions qui l'éloignaient de la raison de sa présence en ces lieux :

— On devrait s'y mettre, lança-t-il à Edward. Plus vite nous nous serons assurés qu'il y a bien un message, plus vite tu pourras le décoder !

L'Enfant aux yeux blancs - Libération [Inachevé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant