Kelazann. Ce nom me hante depuis que je suis arrivée ici. Kelazann. Ce nom sinistre qui se répercute lugubrement dans ma tête. Un cri. Impossible de savoir d'où il provient. Tout le monde crie ici. Tout le temps. Partout.
Je me bouchai les oreilles pour ne plus entendre ces cris de souffrance. J'en avais déjà assez de supporter la mienne. Cette souffrance n'est pas physique, mais morale. Kelazann, cette prison qui enferme à la fois mon corps et mon esprit.
Biiiip. La porte se déverrouilla. Je redressai la tête. Un garde entra, un plateau à la main, un flingue pointé entre mes deux yeux dans l'autre. Il fit glisser la nourriture jusqu'à moi à l'aide de son pied, et m'ordonna :
"Mange !"
Attrapant la nourriture à pleines mains, j'enfournai de grandes bouchées, mâchant le plus vite possible. Ce repas frugal terminé, l'homme me fit signe de le suivre.
Je savais où il m'emmenait : une fois par mois, on nous sortait de nos cellules et on nous emmenait à la douche.
Je le suivis dans le couloir sombre, ponctué par les cellules des autres prisonniers. Mes pieds nus ne faisaient aucun bruit sur le sol dur et froid. Pourtant, un à un, les malheureux redressaient la tête et me regardaient de leurs yeux vides emplis d'une profonde tristesse.
Un casé, escorté de trois gardes, passa près de moi. Il avait les yeux injectés de sang de quelqu'un qui a reçu un choc violent, et les cheveux blancs comme la neige.
Hurlant comme un damné, il se débattait férocement. Il se figea quand il m'aperçut. Puis, sans prévenir, il tomba à genoux. De grosses larmes coulaient sur ses joues creuses. Dans un ultime spasme de souffrance, il murmura un mot, qui, je crois, me fut destiné :
Azaé...Ce nom si longtemps oublié refit surface dans ma mémoire. Je ne savais pas d'où il me venait, ni comment je le connaissais, puisque j'étais juste le numéro 335, et que je n'avais jamais connu mes parents. Étaient-ils encore en vie ?
C'était la première fois que je me posais une telle question. C'était la première fois que je pensais à eux.
Je respirai à fond, tachant de me détendre. Mes épaules tremblèrent et mon regard vacilla. Je me repris, serrant les poings avec tant de force que les jointures de mes doigts en blanchirent.
Alors, dans un dernier soupir, l'homme s'affaissa par terre, mort.
Les gardes qui l'escortaient me regardèrent, puis continuèrent leur chemin, traînant le corps sans vie derrière eux.
Sonnée par cette rencontre, je regardai le couloir vide, hébétée.
Le geôlier me saisit alors le bras et m'entraîna à sa suite.
- "Que... commençai-je
- La ferme ! m'arrêta-t-il, on ne parle pas sans autorisation"
Nous arrivâmes devant une imposante porte qui donnait sur les douches mixtes. Dans la pièce régnait un calme inquiétant.
Je me déshabillai lentement. Je sentais le même regard répugnant que les gardes posaient sur moi à chaque fois. Je rentrai dans l'espace confiné de la douche. Le carrelage immaculé était froid sous mes pieds. Je frissonnai. J'ouvrai le robinet : le contact de l'eau chaude et savonneuse sur ma peau me procurait une sensation de bien-être. J'aurais voulu rester plus longtemps, mais le garde m'ordonna de sortir et de me rhabiller.
Réprimant l'envie de me défouler sur lui à coups de poings, j'obéis. Nous repartîmes en direction de ma "case".
Après s'être assuré que la porte était scellée, il accrocha le trousseau à sa ceinture et repartit en sifflotant.
En me couchant, quelques heures plus tard, je repensai aux événements qui étaient survenus plus tôt dans la journée. Cette homme, au crépuscule de sa vie, avait prononcé ce nom "Azaé".
Ce nom sonnait, quand je le murmurais pour moi-même, étrangement faux, mais, à la fois, m'emplissait de curiosité, de crainte et ...
Je sombrai dans les rêves. Le seul endroit où je pouvais avoir du répit, être moi-même.J'avais l'impression de n'avoir dormi que quelques minutes, lorsque je me réveillai en sursaut.
Frissonnante, je ramenai la couverture miteuse à moi.
C'était la voix d'un homme, passant devant ma case, qui m'avait tirée de mes songes.
Je demandai au garde posté devant ma cellule à qui appartenait cette voix.
-"C'est le directeur, mais t'es pas autorisée à parler".
D'ennui, je me remis à tourner en rond dans l'espace exiguë de ma cellule. Au fil du temps, j'avais développé une hyperactivité nerveuse. Je ne pouvais rester à attendre mon repas comme une enfant docile.
C'est pourquoi, lorsque je rentrais dans l'une de ces phases, je m'inventais une histoire ou un moyen de m'évader. Mais je savais très bien que c'était impossible.
Aujourd'hui pourtant, je sentais que je pouvais faire de grandes choses, que je pouvais mener à bien tout ce que j'entreprendrai.
Soudain, surgies des tréfonds de mon être : des images m'apparurent.
Des lieux, des visages qui me parurent familiers, et qui m'entouraient d'une douce chaleur réconfortante. Et je faisais partie de ces scènes, je tenais la main à une femme plus âgée que moi, dont les cheveux blancs étincellaient dans la lumière du soleil couchant.
Son regard bienveillant s'attardait sur mon visage d'enfant. Un homme était en face de nous.
- "Comment va Azaé ? demanda-t-il en me regardant à son tour.
- Elle marche de mieux en mieux, et a dit ses premiers mots.
- Elle a les yeux de sa mère, dit-il en plongeant son regard dans le sien. Je t'aime Alta."Alors, une réalité s'imposa à moi avec la violence d'un coup de poing ; j'avais déjà entendu la voix de cette homme. Je savais à qui elle appartenait.
Le directeur de Kelazann serait-il... mon père ?
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fugitifs
FantasyDepuis combien de temps suis je ici ? Je ne saurai le dire... Ma vie ne peut pas être résumée à cette cellule. Pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi suis je ici ?