- L'évasion -

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Le directeur ne prêtait pas attention à nous, les casés. Nous n'étions que du bétail à enfermer. Je devais me faire remarquer. Les prisonniers étaient censés être discrets, presque invisibles, comme inexistants.

Je me mis alors à chanter à tue-tête des comptines de mon crû qui insultaient les gardes.

L'un d'entre eux entra soudain en trombe dans la cellule, me prit par le bras, et le tordit si violemment que les larmes me montèrent aux yeux. Je serrai les dents.

- "Tu rigoles moins, là, hein ?"

Puis il me lâcha en me repoussant avec force. Ma tête heurta le sol; le choc me fit voir des étincelles.

J'entendis le cliquetis de la serrure qui se referme résonner à mes oreilles. Je grimaçai. Mon plan n'avait apparemment pas fonctionné. Le garde ne m'emmènerait pas voir le directeur pour cela. Il fallait que je vois plus grand.

Cette pensée m'obséda toute la nuit, et, au matin, je commençai à avoir une idée.

Celui-ci consistait à sortir; il fallait que je trouve le moyen de quitter ma cellule, puis de me faire remarquer par un garde, pour enfin feindre de m'enfuir. Essayer de quitter sa "case" était un crime grave ici. Mais une tentative de fuite !

Elle me vaudrait un tête-à-tête avec le directeur.

Maintenant, il me fallait juste trouver le moyen sortir. J'eus beau me creuser la tête pour trouver une solution, celle-ci ne vint pas.

Je n'avais pas vu le temps passer, quand le garde entra dans la pièce, portant un plateau-repas. Une assiette en plastique, un verre en plastique, des couverts en plastique. Rien de tout cela ne m'aiderait à sortir.

Après avoir terminé mon repas, je repoussai le plateau.

Soudain, un fracas assourdissant retentit dans le couloir de droite. On aurait dit un amas d'objets métalliques tombant sut le sol.

Le garde s'éloigna, lâchant une bordée de jurons.

De grands yeux verts apparurent alors à travers la fente de la porte blindée.

- "Il faut qu'on fasse vite, je n'ai détourné son attention que quelques instants. Je sais que tu veux t'évader, et je sais aussi que tu auras besoin de mon aide."

Surprise, je redressai vivement la tête. Il me fixait intensément, attendant ma réponse.

- "Je vais prendre ce silence pour un oui, reprit-il. Retrouve moi à minuit, devant les douches."

Je hochai la tête, incapable de prononcer ne serait-ce qu'un simple mot.

Puis les yeux disparurent, et une main les remplaça. Il fit tomber un objet brillant devant moi. Lorsqu'il rencontra le sol, un léger tintement métallique retentit.

Je le fis disparaître dans le fouillis de ma chevelure. Le garde revint à grand renfort - encore - de jurons, ouvrit la porte à toute volée et posa un regard dédaigneux sur moi.

Puis il ramassa mon plateau et s'en alla, en refermant la porte derrière lui.

Vers vingt heures, lorsque mon deuxième et dernier repas de la journée, encore moins équilibré que le premier, arriva, je ressassais toujours dans ma tête les événements survenus plus tôt dans la journée. J'entendais le pas des gardes. L'inconnu était malin : à minuit précise, c'était la relève ; les gardes de nuit remplaçaient les gardes de jour.

Je décidai de revoir mon plan une dernière fois : dés que j'entendrai le "bip" distinctif de la relève, je prendrai ma "clé", toujours cachée dans mes cheveux.

J'attendrai d'être vraiment sûre de ne pas me faire prendre, les gardes seraient à faire un compte-rendu de la journée, ce qui prendrait une dizaine de minutes. Largement de quoi s'échapper. Ensuite, il suffirait de retrouver le chemin qui mène aux douches, ce qui serait la partie la plus difficile de mon stratagème.

Les couloirs de Kelazann se ressemblent tous : plafonds et murs blancs, sols en béton. De plus, la plupart du temps, on me faisait porter un bandeau, pour que je ne prenne pas de repères. Enfin, tous les mois, le garde chargé de m'emmener au lavage empruntait un itinéraire différent.

Kelazann était un véritable labyrinthe, rempli de pièges mortels. De quoi décourager le plus vaillant des casés.

Quand je fus certaine qu'il n'y avait plus personne dans les couloirs, je crochetai la serrure. Cette opération se révéla bien plus aisée que ce que j'imaginais.

Une fois dehors, je pris le couloir de gauche, seul souvenir que j'avais du chemin. Arrivée à une intersection, je choisi de prendre à gauche. Je fis de même avec les quatre suivantes. Tandis que je courais dans le cinquième couloir, copie conforme des quatre autres, un mouvement attira mon attention sur la droite. Je m'arrêtai net et revint sur mes pas.

Il y avait là une porte. Elle était vitrée, c'est pourquoi j'avais aperçu un mouvement à l'intérieur. Un mouvement rapide, fugace, mais bien réel.

J'eus un mauvais pressentiment. Mes mains devinrent moites, une boule se forma dans ma gorge.

La poignée était à quelques centimètres de moi. Je n'hésitai qu'une demi-seconde avant d'ouvrir la porte.

Ce que je vis alors jamais je ne pourrai l'oublier. Je retins un cri d'effroi. Et l'envie de vomir.

Dans une pièce aux murs de métal gris, sur le sol dur et froid, il y avait un corps allongé. Un corps torturé et en sang. Un corps sans vie ? Non. Je distinguai dans la pénombre le souffle laborieux de cette personne, plus précisément de cette femme. Ses longs cheveux sales, dont la couleur ne se devinait même plus, étaient étalés sur le sol tout autour de sa tête. Sa taille était si fine qu'elle aurait pu passer entre les barreaux de ma cellule. Elle était nue. Elle avait des bleus, des entailles, du sang séché et des brûlures sur tout le corps. Elle tremblait. Soudain, elle tressauta, gémit, et ouvrit les yeux ; son regard croisa le mien.

Ce fut alors à mon tour de sursauter violemment. Ces yeux des yeux d'un bleu délavé, vides de toute émotion, et qui me dévisageaient.

Ils me happèrent, et, je ne sais comment ni pourquoi, je ne pus détacher mon regard de cette femme si repoussante. Sa détresse était immense, ses yeux baignés de larmes. Cependant, je revins à moi. Je ne pouvais à la fois sortir cette femme de sa cellule, et mener à bien le projet que, le jeune homme et moi, avions mis en place. A regrets, je sortis à reculons de cette pièce infernale, et je refermai délicatement la porte vitrée.

Tous mes muscles se relâchèrent, tandis que je m'éloignais en trottinant de cette scène macabre.

Des bruits de pas retentirent sur ma gauche, je me figeai et attendis.

Je repartis, empruntant un autre couloir à gauche. Je ne sais par quel miracle, je finis par me retrouver devant les douches. L'endroit était désert. Devais-je entrer ? Je regardai autour de moi. Il n'y avait personne. Je soupirai et entrai.

fugitifsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant