Chapitre 1

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— Iola ! Où se cache encore celle-là ? Ah, ces sales mômes qu'on nous refile à l'immigration, regardez comment ils se comportent ! puis-je entendre du toit brailler mon patron dans les dédalles des cuisines.

Au secours, Le roi des cons me cherche ! Je dévale le toit de taule qui surplombe l'aile des plongeurs et me ramasse sur la terre amère que je piétine chaque jour. Le nuage de poussière orangée dissipé, j'époussette ses résidus de ma tenue qui me rappellent ma maîtrise légère des descentes le long des gouttières. Cette cachette reste mon endroit favori pour me reposer et presque rêver d'une autre vie. Un dernier instant en contrebas, je ne quitte pas des yeux l'horizon, la vue que nous offre la Baie sonne le glas d'une liberté que je ne rencontrerai jamais.

Quelle chaleur ! ne m'empêché-je pas de râler à voix basse. Encore une nouvelle saison ! C'est ce qui rythme nos journées ici en zone parallèle, le changement climatique tout droit sorti de l'humeur lunatique du royaume. En fonction de ses Majestés, la météo varie, le paysage qui nous entoure aussi. Ces derniers temps, ils battent des records ! Je me demande bien ce qu'on peut leur servir au Palais pour qu'ils changent d'avis tous les trois quatre heures.

Même en ayant raser les murs, je me retrouve nez à nez à Madame Ursula, la femme du boss. Mes lèvres restent le plus impassible à la vue de son atroce tenue qu'elle nous fait l'honneur de porter. Auto-qualifiée créatrice de mode, elle a récemment eu l'idée poisseuse de réinventer nos tenues « pour éloigner la concurrence ». C'est surtout les clients qui vont déguerpir, mouais !

— Faites gaffe, Lola ! marmonne-t-elle son crayon à papier parfaitement taillé entre ses dents écarlates mais tachetées de son baveux rouge à lèvres rose criard. Vous tentez d'achever mon loup-loup d'une crise cardiaque ?

— Oui, m'dame !

IOLA ! Ce n'est pourtant pas compliqué, I-O-L-A ! Elle releva mon air ironique au passage et me rattrapa par la manche qu'elle troua de ces longs ongles en griffes ! Son visage bouffi et suant se rapproche du mien sans que je me sente menacée un instant.

Le nœud grossier de son chemisier bleu lavande me chatouille légèrement le bout du nez alors que je ne peux m'empêcher d'observer son entêtement à repousser sans cesse les limites des coutures trop étriquées pour sa morphologie.

— Votre nouvelle tenue de travail vous attend toujours...Ne me faites pas regretter de vous avoir engagé, du balai !

Je la gratifie d'un sourire forcé qui brise mes pommettes rien qu'en imaginant l'horreur qu'elle nous a tous préparé. Bienvenue dans mon quotidien, celui des pions de la cour.

Notre existence est séparée de la leur par un immense et magistral mur serti de barbelés qui cache derrière l'immensité don de la nature, la Baie.

Morphéepolis surnommée La Cité des rêves tient son légendaire surnom des reflets qui habillent La Baie à la nuit tombée. Ces immeubles sont à la fois spectaculaires que tentaculaires qu'une vie ne suffirait pas à s'en remettre. Enfin, c'est ainsi que le générique de Good Morning Morphée! décrit la ville. Mon talk-show favori que je réussis à capter clandestinement aux périls de ma vie sur le bord de notre balcon.

Je vis à Wellingsburg, le chef-lieu de la zone 2 et plus précisément dans le quartier le plus près de La Baie et du mur de barbelés. Wellingsburg est la plaque tournante au service de cette insatiable cité qui chauffe l'atmosphère de nos rues, brouille le ciel d'épais nuages noirs et parfois bleu si les orages s'y mêlent. Ici, on transforme les matières premières de l'inconnue pour beaucoup zone 1, Patlinsbug. Très peu citée dans les manuels scolaires, la région des Terres Pleines est celle qui m'a vu naître.

Je travaille en zone parallèle créée pour cacher du regard de Morphéepolis l'existence de Wellingsburg. Subdivisée en deux la première est un lieu de villégiature qui abritent les dômes pour les castes économiques Morphée en visite de leurs industries. L'autre, celle où je travaille, on y croise souvent des étudiants, les petites mains de la cour tels que les verriers et les plus grands ébénistes en excursion dans ce qu'ils peuvent prendre comme une zone expérimentale. Tout ce petit monde composé de subordonnés se prétend l'espace de vacances aussi casse-brique que leurs grands patrons.

La fin de service pointe son nez et aussi sec, je balance mon tablier dans une de ces bouches murales qui conduisent aux immenses sous-sols où les petites mains s'affairent à rendre éclatant ce qui ne peut plus l'être. Soigneusement, j'esquive le bureau des essayages et m'enfuis repoussant à quelques jours l'absurde moment d'enfiler ce déguisement. Je passe rapidement entre les cuisines prendre un paquet que m'ont préparé les cuistots avant de partir.

La portière claquée de ma vieille caisse, je prends le temps de respirer lentement puis d'expirer après avoir retenu ma respiration pendant sept secondes. Sans qu'elle ne puisse se douter de mon existence, j'aspire à reproduire chaque de fin de service les gestes prodigués par ma chroniqueuse favorite de Good Morning Morphée ! Denise Kruvitch.

S'il est certain que nous ne serons jamais amenées à nous rencontrer, certaines de ses interventions me paraissent souvent destinés uniquement à nous autres, son public clandestin comme si elle se doutait que nous sommes nombreux en possession d'antennes illégales.

Différentes de ces autres starlettes de télé, elle dégage ce naturel comme si ses racines avaient été communes aux nôtres, aux miennes.

Comme à chacune de mes journées, le pire reste l'interminable check-point. À la vue de la pagaille semée près du check-point, je décide d'éviter l'axe unique engorgé qui mène à Wellingsburg.

Les routes boisées sont peu praticables mais ont l'avantage d'être désertes ce qui facilite et accélère mon retour. Une main sur le volant, je profite pour libérer l'autre pour piocher un pain de viande dans une barquette. Gloups ! Je ne me laisse même pas le temps de respirer que j'en remets un autre dans ma bouche. Il faut les finir et vite ! Chez nous, il est interdit de manger de la bête. Ce chez nous devient de moins en moins un chez moi tant les règles fleurissent peu à peu. Celles de mon incroyable époux, Charly.

J'ai des idéaux, tu comprends mon amour ? ne cesse-t-il jamais de me répondre les rares fois où j'ai tenté de lui en refaire la remarque. Alors je lui mens et je n'en demeure pas moins culpabilisée. Au contraire, cela m'excite énormément de le faire, un peu de piquant dans notre couple ne ferait pas de mal.

Perdue dans mon sac, le bruit sourd qui vient de passer sous les roues ne m'interpelle soudainement. Merde ! Voilà pourquoi personne n'ose l'emprunter cette route, elle n'apporte que des embrouilles. Je m'arrête le long de la route mon reste de pain de viande entre les dents puis descends rapidement de ma voiture afin de vérifier son état. Hum, bizarre. Rien, pas même une égratignure. Je dois vraiment fatiguer ou Charly doit commencer à avoir peut-être raison au sujet de la viande ? Nooooon, c'est la fatigue !

— À l'aide ! À l'aide ! gémit une voix comme si elle venait de l'autre côté de ma vieille caisse le long du fossé.

Mon bout de viande m'en échappe et les battements de mon cœur s'accélèrent. J'agrippe mes vieilles manches comme si elles étaient en capacité de me protéger vers ce quoi je m'approche.

Extra Baby Tome I: SidersWhere stories live. Discover now