Les yeux ouverts à nouveau je décroche ma ceinture et saute en dehors de la voiture. Il était sur la chaussée haletant, le visage enfoui dans ses mains. J'ai réussi ! Mon plan sans logistique a marché.
Mes yeux se posent immédiatement sur les environs qui nous entourent et remarquent que j'avais parcouru une dizaine de mètres loin de son piège.
Je me hâte vers lui tendre une main après qu'il ait tenté de se relever seul sans y parvenir. De ses larges épaules et son dos développé, je sens mon corps s'effondrer sur les derniers mètres qui nous séparent de la voiture. À demi-allongé sur la banquette arrière, il étouffe un dernier cri de douleur par un soupir de soulagement.
Je n'ai pas à trop le temps de m'attarder sur cet épisode réussi que je reprends le volant en direction Hôpital Général de Wellingsburg.
— Où va-t-on ? demande l'étranger alors que nous arrivons vers le portique de contrôle de l'entrée central de Wellingsburg.
— Peut-être un endroit où l'on peut vous soigner, non ? Vous n'êtes jamais allé à l'hôpital de service ?
— Je n'aime pas ces endroits, répond-t-il sèchement, c'est tout.
Je n'insiste pas. Je déteste être contrainte à mon tour d'y mettre les pieds depuis quelques semaines une fois par semaine. Ces visites sont la preuve qu'il me faut apporter au département administratif du préfet afin d'obtenir le sésame de la citoyenneté définitive. Ce ticket d'entrée a un sacré coup,un bébé.
Nous nous rapprochons du portique de l'entrée central de la ville qui le plus souvent est automatisé et désert. Bien sûr, pas en cette fin de journée. Les Gardiens sont là, notre pire cauchemar. Alors qu'ils se faisaient rare à mon arrivée dans la région, ces derniers temps, on les croise partout au centre-ville. J'en devine que la surveillance du Palais s'accrue et chasse nos moindres faits et gestes est la passion de ces vautours. Je fouille mon sac à l'arrêt quelques mètres avant le contrôle et demande à l'escorté ses papiers.
— Dans la poche droite de mon sac, gémit-il en cachant son visage.
J'arrive à les saisir rapidement quand je suis incapable de dissimuler mon air hébété. Je me retourne vers lui :
— Vous êtes un Hégé ?
— Oui, ne s'empresse-t-il pas de me répondre comme s'il était gêné que je le découvre, c'est bien ça.
Un Hégé. Seul ce statut peut permettre à qui veut de traverser le pays sans droit de regard. Les Hégé sont la crème de la crème, l'élite politique, économique, bref, la crème de la crème. Ils ont de près ou de loin à faire avec l'entourage de la famille royale.
— Qu'est-ce que vous foutez ici ? lui demandai-je en tentant de retenir la panique qui m'attaquait
— Ça veut dire quoi ça ? Je suis libre de circuler à ce que je sache !
Il m'apparaît hautain tout d'un coup. Peut-être s'agit-il d'un mauvais jugement mais de l'avoir retrouvé à cet endroit n'a absolument rien de logique. La plupart d'entre eux ont tous des ombres qui les suit à la trace comme pour les protéger d'un mal qui viendrait de nous.
— Excusez-moi, s'empresse-t-il de chuchoter, je suis un peu à bout.
J'inspire profondément et me concentre sur la route en avançant au fil du rythme. Rien à faire, mes yeux plongés dans mon rétro sont à la recherche des siens, à la recherche de cohérence.
— Je connais ce coin comme ma poche, continué-je les yeux rivés sur la route qui s'obscurcit, si on se trouve sur cette route dans le sens alors on ne peut revenir que d'un seul endroit...
— Patlinsbug, conclut-il sans plus tarder.
Le reflet de l'alliage de la combinaison du Gardien me fit sursauter. Et s'il avait tout entendu ? Pire, comment vais-je justifier à l'un de ceux qui fait la pluie et le beau temps dans la zone que je transporte un blessé et pas n'importe lequel ! Un Hégé.
— Passez-moi ma casquette, réclame le malade, s'il vous plaît. Ne lui tendez que mes papiers et laissez-moi parler.
Sans broncher, je m'exécute en baissant la vitre de ma portière pour tendre sa carte d'identité sans broncher ni même croiser le regard du Gardien.
Leurs combinaisons peuvent effrayer n'importe quelle personne, moi la première. Vêtus de noir et or aux écaillés en relief renferment de fines lames tranchantes.
— Qu'est-ce qu'il a le type derrière ? me demande-t-il d'un ton inquisiteur.
Mon jour de mort vient d'arriver. Pourquoi avais-je voulu jouer les héroïnes? Il n'avait toujours pas examiné sa carte d'identité.
— J'ai demandé à ma servante de conduire pour le reste de la rouge, le garage est encore loin, son excellence ! répondit l'Hégé plus vite que je n'ai plus le faire.
Mon souffle se coupe entre la peur du gardien et la remarque déplacée de l'étranger.
Le Gardien releva la visière de son casque en acier scintillant et posa son abjecte regard sur moi presque dubitatif. Il finit par poser ses yeux sur les documents entre ces mains et ne mit pas une seconde de plus pour acquiescer. Il autorisa notre passage et sans plus attendre pour ne pas lui cracher au visage, je fonçai droit devant moi en direction de l'hôpital.
Je ne suis absolument rien pour cette personne, mon mari doit sûrement s'inquiéter et moi je me retrouve à attendre des nouvelles d'un bel inconnu. Un inconnu, Iola, un inconnu.
Nora, la directrice de l'hôpital et la mère de Charly finit par apparaître au détour d'un couloir, j'avance vers elle d'un pas franc et rapide.
Quelques boucles brunes lui tombent sur le visage, elle s'empresse de les ramener derrière son oreille avant de me prendre dans ses bras. La chaleur de ses bras, elle aussi est unique, elle est maternelle. Une chose rare dans mes souvenirs.
— Comment va-t-il ? ne puis-je pas me retenir de demander.
— Son pied a été remis dans le bon sens et les plaies de son dos pansées, déclare-t-elle souriante.
J'y avais mis toute ma force pour le sortir de ce trou, son dos en gardera un sacré souvenir.
— Bien, je vais rentrer alors, merci Nora.
— Il est éveillé, m'arrête-t-elle alors que je lui tourne déjà dos, il te réclame.
Moi ? On s'était déjà tout dit, non ? Elle me laisse sur le pas de la porte que je mets un temps à franchir. Il est allongé l'air pensif sur son lit et se redresse à ma vue.
— Vous voilà, enfin, marmonne-t-il en sortant d'une petite pièce.
Un Hégé, je n'en reviens toujours pas.
— Je tenais à vous remercier personnellement, reprend-t-il une fois installé, je serai sans doute mort sans vous.
— Ce n'était rien, vraiment, je vais vous laisser vous reposer à présent, bon retour.
Mon cœur se joint au rythme que prirent mes jambes pour sortir de cette chambre à peine éclairée d'un néon.
— Je m'appelle Anders, finit-il par m'arrêter de sa voix, encore merci, Iola.
Les présentations désormais faites, nous pouvons nous quitter sans jamais n'être amenés à se recroiser.
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Extra Baby Tome I: Siders
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