Elle a le regard dans son verre le bout de femme accoudée au bar du Jack's crocodile ce soir-là.
Ne dépassant pas le mètre soixante, elle se fait bousculer toute la soirée, sans la moindre excuse.
Le problème avec elle, c'est qu'elle a la mémoire longue la jeune femme et elle se vengera tout au long de la nuit, n'ayant rien de mieux à faire ces temps-ci.
Les mains se baladent devant elle,
Des mains difformes,
Rouges,
Poilus,
Abîmés,
Des mains qu'elle aimerait oublier.
Elle observe les siennes un instant,
Les siennes trop petites,
Trop blanches,
Aux ongles cassés d'où un vernis écaillé montre encore le bout de son nez.
Ses mains baladeuses,
Un poil voleuses qui aiment entrées, Violemment,
En contact avec le visage de certains des bipèdes autour d'elle.
Seulement ceux qui le méritent.
Des voix s'élèvent,
Elle reste muette,
Des gens s'agitent,
Elle reste stoïque.
On pourrait la prendre pour un cadavre,
Un mannequin qu'on aurait décidé d'entreposer là, pour on ne sait quelle raison, on est en Amérique ici, on n'a pas besoin de raison.
Seule sa chevelure de feu lui permet de capter quelques regards,
Intrigués,
Intéressés,
Alcoolisés...
Ses boucles lui tombent jusqu'en bas du dos, venant lécher ses fesses.
Ses fesses aussi plates que ses seins, des seins qu'on aurait pu croire retirés à la suite d'un cancer au vue des cicatrices recouvrant son torse.
Elle n'a juste jamais eu de chance,
Elle n'a juste jamais eu de seins.
Son regard si humain balaie la salle, ses yeux sombrent s'attardent sur quelques hommes, sur quelques femmes à qui elle aurait bien fait la cour,
À qui elle aurait bien payé un verre,
Ou deux.
Avec qui elle aurait bien fini la soirée pour se réveiller dans les bras de quelqu'un au petit matin.
Pour ne pas se réveiller seule, complètement déchirée à ne plus pouvoir se rappeler quoi que ce soit.
Le Jukebox se met à diffuser une autre chanson, du bout des doigts elle bat le rythme sur le comptoir, son pied gauche danse tout comme ses lèvres s'agitent, elle la connait cette chanson.
Elle lui rappelle vaguement quelque chose,
Un goût salé,
De bons souvenirs,
Un sentiment de chaleur,
Une amie,
Une virée au bord de la mer,
Un morceau de vie,
Oublié.
Les lumières chaudes, donne à son visage une couleur dorée, on pourrait même y voir des paillettes, éparpillées, par-ci par-là, au coins de ses yeux, à la commissure de sa bouche toute fine, sur le bout de son nez court et délicat, légèrement brillant.
Elle est sur les nerfs,
La soirée est en train de la foutre en l'air,
Des corps la frôlent,
Elle s'encastre un peu plus dans le bois brute du bar en forme de gueule de crocodile.
Bientôt, elle n'aura plus qu'une seule solution, se cacher en dessous ou bien passer par-dessus.
Elle se recommande un verre et puis un second, la musique a changé d'air.
Il serait peut-être temps de passer à autre chose ? Tu as faits ton temps ma vielle...
Elle se commande un chili, on lui a promis le meilleur de l'Etat.
On en reparlera demain quand elle sera en train de le vomir, si elle a de la chance, dans une bassine, dans un lavabo ou bien la tête au dessus des toilettes.
<< - Sympa la couleur des tifs ma jolie...>> Une main tire sur l'une de ses mèches de cheveux. Elle relève la tête et contemple un géant,
Le regard lointain,
Braqué sur un détail, au fond de la pièce, qui lui échappe. <<- Vous allez vous battre ce soir, une habitude vous me direz.>>
L'homme ne réplique rien,
Il se contente de la scruter,
Un court instant.
Trop brève pour que la jeune femme y décèle ses pensées.
Ses mains,
Ses pattes,
Sont différentes,
Elle aurait presque envie de les toucher.
Elles pourraient facilement les contenir, ses deux petites menottes à elle.
Ses lèvres remuent,
Frétillent,
Il change d'expression,
Il perd la face,
Sa confiance,
Ses moyens,
Sa totale maîtrise de soi.
Il marmonne,
Rechigne,
Des paroles incompréhensibles,
Au ton de sa voix, ce sont des insultes,
Il bougonne,
Peste et finit par s'éloigner.
Elle porte de nouveau son verre à ses lèvres,
Les trempes dans l'alcool.
Le whisky se glisse sur le contour de sa bouche, la boisson la désaltère comme elle l'a détruit, elle lui redonne le sourire comme elle lui retire à chaque gorgée un peu de sa vie.
Le liquide ambré réchauffe sa langue,
Sa gorge,
Son cœur.
Il éloigne les malheurs,
Les regrets,
Et les rancœurs.
Il la protège un court instant.
Le poing d'un homme va s'écraser dans le visage d'un autre.
Dans celui du géant.
Il recule sous la puissance de l'impact, son rire lui parvient, le silence s'abat dans ce bar miteux.
<<- Je ne me trompe jamais.>> Affirme-t-elle en sautant de son siège, replaçant son blouson sur son dos, quittant le Jack's crocodile bar, avant que le spectacle, le combat de deux abrutis torchés, tourne à la catastrophe.
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Mná | AMERICAN GODS
FanfictionLes dieux, les croyances meurent et c'est comme ça, on n'y peut rien, on y passera tous. (Va connaître une réécriture entière)