Rose, ou la guerre des caddies

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Je regarde la jeune fille aux cheveux bouclés disparaître derrière les portes automatisées du tram. Je souris encore ; c'est plutôt rare que quelqu'un comprenne cette référence à Kaamelott. J'appuie mon front contre la vitre, regardant défiler les trottoirs sales et déserts. Plus que quatre arrêts pour atteindre le supermarché.

Dans sa poussette, Nathanaël pousse un petit cri. Je l'observe, inquiète. J'ai pourtant fait attention à ce qu'il n'ait pas froid, ou quelque chose de ce genre. Je rapproche la poussette pour lui caresser le visage.

- Tout va bien mon chou ?

Mais il ferme ses petites paupières, visiblement bercé par le ronron du véhicule. Je replace avec soin la masse de couvertures, et veille à ce qu'il n'ait pas trop de soleil dans les yeux. Mon petit garçon de 8 mois dort paisiblement, sa peluche Winnie l'ourson serrée contre lui. Une voix mécanique résonne dans l'habitacle.

Encore 3 arrêts.

J'observe autour de moi. J'aperçois dans le fond un jeune homme, ses écouteurs le coupant du monde. Une adolescente, qui jette des coups d'œils nerveux vers le panneau d'affichage, probablement pour ne pas louper sa station. Et un grand-père, se tenant très loin des autres, par peur de contagion, peut-être ? Je ne peux que le comprendre.

Je sors de mon sac à main mon flacon de gel hydroalcoolique, et m'en verse une généreuse dose sur les mains. Je frotte frénétiquement mes paumes, mes ongles, chaque phalange. C'est la septième fois que j'effectue ce geste depuis ce matin. Je lève les yeux vers le panneau d'affichage.

2 arrêts.

Je me cale dans mon siège, sans lâcher la poussette de Nathanaël. Je vérifie que mes sacs sont bien là, que je n'ai rien oublié. C'est la troisième fois que je passe tout en revue depuis que je suis montée dans le tram. Je me mordille la lèvre en sortant mon portable. Je tape le code et la page d'accueil s'ouvre. Là encore, je vérifie tous mes réseaux, de peur de rater quelque chose. Messagerie, Facebook, Instagram, tout y passe. Mais rien de surprenant à signaler ; j'ai fait exactement la même chose il y a peine 3 minutes. Je ferme mes onglets, puis reste quelques temps à regarder mon fond d'écran. Je souris en contemplant la photo de Nathanaël, Yoann et moi devant la mer.

1 arrêt.

J'attache négligemment mes cheveux en un chignon lâche, puis rassemble mes sacs de courses. Je me lève, jette mon sac à main sur mon épaule, et enfin empoigne la poignée de la poussette.

"Prochain arrêt : Av-"

- Flûte ! dis-je en me massant l'épaule qui venait d'entrer en collision avec une barre métallique.

J'ai toujours refusé de dire des gros mots devant mon enfant, même si celui-ci est actuellement en train de dormir à poing fermé.

Le tram s'immobilise, et les portes s'ouvrent. Je fais bien attention à sortir la poussette en douceur, mais décidément les transports en commun ne sont pas adaptés aux parents armés de poussettes ! Une roue arrière se bloque je ne sais trop où, et je suis alors obligée de secouer un peu la poussette pour la dégager. Lorsque je suis enfin sur le bitume et que le tramway redémarre, des gémissements de protestation se font entendre. Évidemment, il fallait que Nathanaël se réveille à ce moment-là.

Je m'accroupis en face de lui, et souris le plus possible.

- Maman est là mon amour, ne t'en fais pas.

Mon fils m'observe de ses grands yeux bruns, puis finit par tordre son visage poupin d'un petit sourire. J'embrasse sa petite tête avant de nous remettre en route.

Je n'avais jamais vu la ville aussi déserte. Les gens sont vraiment barricadés chez eux depuis l'annonce du président. Au loin se dessine une silhouette, mais elle devient vite hors de vue. Un policier, peut-être ? Au cas où, j'ai mon attestation de sortie sur moi, remplie tout juste ce matin.

Les tribulations des confinéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant