Cassandre, ou la joie et la bonne humeur

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On commençait peut-être à voir le bout du tunnel.

Il y avait une date hypothétique sur toutes les lèvres.

Le 11 mai.

Ma mère était aux anges. Et moi aussi, par extension. Car cela signifiait la fin de l'enfer animalier qu'elle et mon frère me faisait subir.

En parlant de mon frère...

Hippolyte aurait pu être aussi ravi que nous de la nouvelle. Si celle-ci ne s'était pas accompagnée d'une autre qui avait quelque peu douché son enthousiasme.

Une deuxième date avait émergé des infos.

Le 18 mai.

La reprise des écoles primaires et des collèges.

Alors le ptérodactyle lassé était devenu un ptérodactyle furieux. Il ne nous avait pas fallu longtemps pour deviner qu'il n'avait pas très envie de reprendre le chemin des classes. Je crois que le fait que les lycées soient pour l'instant encore épargnés par la reprise le mettait encore plus en rogne.

Bref, ce gamin n'était ni plus ni moins qu'un énorme jaloux.

Et ce que j'ai qualifié plus haut de bout du tunnel s'avéra finalement être un monstrueux croc-en-jambe qui me conduisit tout droit vers la dernière chute tout au fond du gouffre des enfers.

— JE RETOURNERAI PAS EN COURS !

— C'EST PAS TOI QUI DÉCIDE HIPPOLYTE !

— M'EN FOUS !

— TON LANGAGE !

Même avec la musique à fond je les entendais s'engueuler de la cuisine. Ce qui était, on ne va pas se le cacher, doucement relou à force.

Très personnellement, le déconfinement ne me faisait ni chaud ni froid. Ça permettrait aux excités avec qui je partageais ma maison de se calmer au grand air ; pour ma part, tant que les lycées ne reprendraient pas – et ça avait l'air assez mal parti – je restais enfermée comme je l'était depuis... trois mois déjà ? Je n'avais pas vu le temps passer. Les profs se débrouillaient via Internet et c'était très bien comme ça. Il n'y avait que la prof de français pour casser l'ambiance en martelant que l'oral de bac aurait lieu et qu'il fallait qu'on continuer de travailler sérieusement... Mais elle nous noyait tellement de devoirs que j'avais à moitié décroché. Je révisais mollement mes textes, ou plutôt regardait alternativement mon ordi et mes fiches de révision avant de décider que mon téléphone était plus intéressant. Je n'arrivais même plus à me motiver ou à m'inquiéter de l'échéance potentielle qui approchait. Notre prof principal nous tenait le discours inverse en garantissant que l'oral ne pourrait pas avoir lieu, que les conditions seraient beaucoup trop folkloriques. Ça n'aidait pas.

Bref, je me voyais déjà en vacances.

Et si Hippolyte pouvait débarrasser le plancher en retournant au collège, ce serait même le paradis.

Mais en attendant il était en train de me casser copieusement les oreilles en s'engueulant avec ma mère. Il n'était pas vulgaire d'habitude, mais pour l'occasion il semblait avoir sorti un exceptionnel panel de jurons que je songeais à emprunter à l'occasion. Sans copyrights évidemment, on va pas abuser non plus hein. A onze ans, il n'est pas sensé connaître tout ça déjà...

Pour fêter tout cela dans la joie et la bonne humeur, ma mère choisit, ce jour-là, de nous préparer un repas de fête à base de hamburgers maison et de glace accompagnée de chantilly. Très franchement, je n'étais pas du tout contre. La seule chose que j'aurais voulu aurait éventuellement été une meilleure ambiance pour s'assortir avec ce repas somme toute sympathique. Entre Hippolyte qui faisait la gueule, mon père qui s'écrasait et ma mère qui textotait furieusement sur son portable en fixant l'écran par-dessus ses lunettes, ce n'était pas vraiment ça.

— Tu écris à qui ? lui demandai-je pour faire genre de m'intéresser à ce qui se passait.

Elle ne répondit pas, mais dans le reflet de ses lunettes, je vis son écran avec WhatsApp ouvert et reconnut la photo de profil de ma tante Gisèle, sa sœur. Je ne savais pas trop ce qu'elles avaient à se dire, surtout par messages, alors que d'habitude c'était plutôt en appel, mais vu sa réticence à répondre à ma première question je décidai de ne pas en tenter une deuxième.

— Cassandre, va nous sortir trois cuillères pour le dessert, me dit-elle sans me regarder pendant que mon père débarrassait la table.

J'obéis docilement pour ouvrir le tiroir à couvert.

— Tais-toi ! me lança soudain ma mère d'un air furibond.

— Mais j'ai rien dit ! protestai-je faiblement.

— Chut.

Je n'essayai pas de m'expliquer davantage. Je savais que ma mère n'écouterait pas mes arguments concernant le fait que je n'avais absolument rien dit. Elle avait ses humeurs, comme ça. Et mieux valait ne pas la ramener sous peine de se prendre une sale dérouillée verbale.

— Tu devrais décrocher de ton téléphone quand on est à table, on dirait une ado quand tu fais ça, dit mon père, probablement pour essayer de faire une touche d'humour.

Il récolta un regard méchant qui lui fit baisser le nez vers sa coupe alors que je déposais les pots de glace sur la table.

L'ambiance s'était encore plus refroidie, et je ne parlais pas du sorbet citron qui me gelait l'émail des dents. Même Hippolyte ne pipait mot, c'était dire.

Bref, joyeux déconfinement les amis.

Les tribulations des confinéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant