Chapitre 4

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       Rose se réveilla dans l’après-midi. C’était lundi et sa mère ne voulut pas qu’elle aille en cours. Elle se leva de son lit, prit une douche froide et se couvrit. Elle descendit les escaliers, casque sur les oreilles.
      - Où tu vas ?
      Rose fit la sourde, sans même lui accorder un regard, elle claqua la porte et partit courir. Maintenant qu’elle connaissait le chemin de la patinoire, elle était décidée à y aller régulièrement, en courant, pour reprendre le sport. Elle attrapa les clefs dans le pot et rentra dans le vieux bâtiment. La vieille dame ne venait plus ici, la patinoire était maintenant fermée au public, alors elle referma derrière elle. Les patins aux pieds, elle s’aventura sur la glace. Elle perdit d’abord l’équilibre à plusieurs reprises, puis revint sur ses patins. Hélène n’était pas là aujourd’hui pour lui tenir la main, alors elle s’accrocha à la barrière. Elle alla d’abord doucement, puis de plus en plus elle essaya d’accélérer. Elle manqua de retomber plusieurs fois, mais réussi à rester debout. Elle patina tout le reste de l’après-midi, jusqu’en avoir mal aux jambes. Pourtant, elle se sentait bien. Elle aimait la sensation du glissement sur la glace, la sensation d’être libre, l’impression qu’à tout moment elle pourrait s’envoler.
      Un applaudissement la fit sursauter, tant qu’elle en tomba sur les fesses.
      - Youuuuuh ! Tu arrives à patiner !!
      Hélène glissa à son tour sur la glace et aida Rose à se relever.
Sous le regard interrogatif de son amie, Hélène lui remua sous le nez son double des clefs. Rose regarda l’heure : c’était déjà 18h, et elle n’avait pas vu le temps passer. La rousse prit ses mains et posa un baiser sur sa joue.
      - On danse ?
      Rose rigola. Comment ?
      Comme si elle avait lu en elle, Hélène afficha un sourire malicieux.
      - Ma mère a accepté que je laisse mon enceinte à la patinoire.
      Elle sortit de la patinoire et alla piocher son appareil dans son sac. Elle chercha sur son téléphone une musique, jusqu’à s’arrêter - à la grande surprise de Rose -, sur un morceau de piano, de Erik Satie. Le coeur de Rose se mit à battre plus fort. Petite, elle faisait de la danse classique, mais elle avait arrêté en grandissant. Plusieurs fois elle avait voulu reprendre, mais son mutisme l’empêchait de faire beaucoup de choses.
      Hélène prit les mains de sa camarade, et la fit aller en avant, en arrière… la musique était douce et les gestes du couple lents. Les pas que se mit à faire Rose la projeta dans le passé, pendant ses cours de danse. D’après sa prof, elle était destinée à être une grande danseuse, enfin… « Si seulement elle parlait. ». Si seulement Rose arrivait à parler, à communiquer, elle aurait sûrement pu faire pleins de choses… elle aurait pu danser, rire, flirter… tellement de choses. Qu’en était-il de sa voix depuis l’âge de 3 ans ? Est-ce qu’un jour elle arriverait à prononcer des mots ? En avait-elle seulement la capacité ?
      Hélène avait lâché les mains de Rose, elle ne bougeait plus, elle fixait son amie, ébahie. Rose n’était pas une pro, elle faisait de faux pas sur la glace et de temps en temps manquait de tomber, mais l’expression que Rose portait à ce moment là était encore inconnue à Hélène jusque là. Rose avait le regard voilé, perdu dans le vide, la bouche serrée et le menton levé. Son expression relevait de la passion, de la tristesse… de la haine ? Que faisait ces émotions sur le visage d’une fille si pure, si jeune ?
      Puis la musique s’arrêta, et les jambes de Rose se dérobèrent sous elle.

      - Rose ? Rose tu m’entends ?
      La jeune fille ouvrit difficilement les yeux. Où était-elle ? Hélène était penchée au-dessus d’elle, à côté de sa grand-mère, mais elle ne connaissait pas les lieux. Les murs étaient fleuris, les meubles colorés, et elle était allongée sur une couverture en patchwork.
      - Rose ! Enfin ! J’étais si inquiète ! s’exclama Hélène.
      Une étrange chaleur de feu de cheminée vint la réchauffer.
      Rose se redressa difficilement et s’aperçut qu’elle était sur un canapé.
      - Tu t’es évanouie sur la glace… je t’ai porté jusque chez ma grand-mère, elle habite juste à côté…
      La vieille dame la salua d’un sourire, auquel elle répondit. Rose chercha son carnet, qu’Hélène lui tendit. « Je dois rentrer chez moi », elle écrivit.
      - Je vous ramène, lança la grand-mère.

      Rose suivit du regard la voiture qui disparaissait dans la nuit et salua d’un signe de la main Hélène. Elle regarda l’heure : 22h. Mince.
      Elle rentra sans toquer chez elle, la maison était plongée dans le noir. Elle monta discrètement dans sa chambre, ouvrit la fenêtre et s’alluma une cigarette. Elle savait que c’était mauvais pour sa santé. Mais peut-être qu’elle en avait besoin, peut-être, que, finalement elle était déjà bien pourrie.

Rose [ProfxElève / ♀️x♀️]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant