Chapitre 1 : La chanson d'amour

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Sami, né avec un bras en moins, en Syrie, le 22 septembre 2005.

J'aurais volontiers cédé ma place, pour ne pas naître sur Terre de cette façon pitoyable.

Amputé d'un côté, mon organisme s'était adapté en sur-développant l'autre, me donnant ainsi une carrure irrégulière, délabrée.

J'avançais bringuebalant, difforme, avec mon épaule gauche massive et l'énorme bras qui en découlait, le moignon ridicule qui lui faisait face à droite, la maigreur de mes côtes, mes fines jambes dignes du meilleur mannequin occidental, et mes grands pieds, qui s'étalaient au sol pour pouvoir maintenir tout cet étrange ensemble en équilibre.

Sur moi, tout se teintait d'ocre, de la même couleur que la poussière transportée par le vent. Mes cheveux s'entortillaient sur eux-mêmes, comme s'ils étaient devenus fous des pensées entremêlées et diverses qui se perdaient sans cesse à l'intérieur de mon crane.

J'étais enfin à l'image des terres qui m'entouraient : misérable.

Cependant, ma sœur Sarah m'avait dit un jour qu'elle me trouvait rigolo, beau à ma façon. Ces mots m'avaient apporté le plus grand plaisir de mes quinze années d'existence.

J'avais toujours vécu avec ma mère, ma petite sœur Sarah et mon petit frère Elias. Ces deux-là étaient deux superbes jumeaux. Ils se ressemblaient comme deux dunes de sables.

De loin, on les percevait comme deux enfants de même gabarit ; tailles, masses, teints et chevelures identiques. Ils auraient été absolument les deux mêmes êtres si l'un n'avait pas été un garçon, et l'autre une fille : leurs seules différences se composaient des attributs caractéristiques des genres.

Par exemple, les paupières de la petite se recourbaient plus délicatement. Elle possédait des cils plus étendus et des sourcils plus discrets que ceux d'Elias qui s'inclinaient franchement, courbés et prononcés. Les joues du garçon étaient plates, presque creuses, et mettaient en avant sa mâchoire, alors que Sarah arborait des pommettes galbées et un petit menton.

Le corps de l'un se montrait plus anguleux, droit, simplement tracé avec des lignes sommaires. L'autre se composait de membres plus joliment arrondis, plus ornementés, plus complexes et agréables.

Ces légères nuances accentuaient le charme de leur ressemblance.

Il faut aussi préciser qu'on rencontrait dans les prunelles de ces jumeaux exactement la même couleur de défi, de courage et de ténacité.

En effet, ils avaient vécu la même histoire : sans cesse fourrés ensemble, dormant côte à côte et se serrant l'un l'autre d'une manière telle qu'on pouvait croire qu'ils ne formaient qu'un. C'était comme les deux parties d'un puzzle.

Ils me considéraient comme un exemple, un héro. J'étais leur grand frère, et le plus robuste de la famille...

Mon frère et ma sœur n'avaient jamais pu être propre, ni repus, ni dénués de souffrances physiques. Ils avaient continuellement soif et mal à l'intérieur de leurs corps.

Pour moi, c'était pareil, mais pour moi ce n'était pas grave, puisque je me considérais comme raté. Je faisais peur aux petites filles du village. Je ne comptais pas, moi.

Enfin... j'étais rigolo pour ma sœur, alors je comptais quand même un petit peu. Seule cette pensée me rassurait.

Maman déprimait depuis que mon père était partit à la guerre. Il nous avait quitté sans faire d'adieux, et n'était jamais revenu.

Maintenant qu'il n'était plus là, maman ne se ressemblait plus. Elle parlait très peu et son regard était vide. Sa voix était presque inaudible, comme un souffle.

N'oublie pas qui tu es [ROMAN]Where stories live. Discover now