Chapitre 5 : Le départ

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Je marchais droit devant moi, en m'efforçant de ne penser à rien, de ne pas réfléchir, comme je le faisais, parfois, pour tenter de trouver le sommeil.

J'aurais aimé me fondre dans une sorte de torpeur, de veille. Devenir un robot et tout exécuter machinalement.

Ma tête n'était que douleur. Il s'y pressait de terribles démons, des regrets, des remords, des peines, de la nostalgie déjà.

Et puis soudainement, je courus.

Je courais pour que ma tête se calme et que la douleur redescende, je courais pour semer les éclats de vitalité de mon frère, les prouesses de ma sœur, et les chansons de ma mère. Je courais pour m'éloigner de ces terres embrasées qui étaient les miennes, je courais de toute mes forces car je savais que je ne résisterai bientôt plus à la tentation de me retourner, et que si, lors de cet abandon, je voyais encore mon village dans le lointain, je n'aurais pu continuer.

J'essayais d'effectuer le maximum de distance, et tout en courant je secouais ma tête pour la faire taire. Je voulais que la douleur physique de mon souffle coupé et de mes genoux courbatus surpasse celle de mon esprit. Mais cette dernière était toujours plus forte...

Au bout d'un moment, je ne pu plus m'empêcher de me retourner : je m'arrêtai et regardai derrière moi. Ça y est, je ne reconnaissais plus rien. J'étais maintenant sans maison.

Je m'assis et pris ma tête brûlante dans mon unique main. Je devais être bien pitoyable à voir, enfant de 15 ans, amputé, maigre et seul dans le désert.

Je ne sais plus combien de temps je suis resté là, à essayer de convaincre mon cerveau qu'il y avait à présent autant de distance de moi à ma famille que de moi à la France.

Je voulais me persuader que j'étais maintenant si loin de ceux que j'aimais, que je ne pouvais plus, d'un point de vue pratique, revenir en arrière. Je pestais contre cette capacité de réflexion que j'avais toujours eu et dont on me flattait tant au village, et qui m'handicapait si lourdement ce jour-là.

Puis je repris mon chemin.

J'allais tout droit devant. Droit jusqu'à la mer, mer que l'Ancien décrivait comme un immense réservoir d'eau, eau qui était malheureusement imbuvable car salée. Je n'avais jamais vu de très grande quantité d'eau durant mon existence, et j'avais hâte de découvrir cela.

Je m'accrochais à cette idée, à ce but.

La première partie de ma traversée se fit dans le prolongement du désert aride dans lequel nous étions réfugiés. Il s'agissait uniquement d'une grande étendue vierge, parsemée de cailloux, de quelques arbres épineux et de buissons secs. Il y soufflait une bise ennuyeuse, qui caressait le néant sans y exciter aucun mouvement.

Le soleil, qui demeurait aujourd'hui décidément voilé par son habit blanchâtre, n'enchantait pas vraiment les parages. Je battais le sol dur de mes pieds nus.

Au fur et à mesure, la lourde chaleur qui tombait sur le plateau où j'avançais m'abrutit un petit peu, et mes pensées se firent moins intenses, plus frivoles et volatiles. Je souffrais moins.

C'est alors que je vis se dresser sur l'horizon quelque chose qui ressemblait à une ville.

Je m'y hâtais. Une ville ! Je n'en avais jamais vu de toute ma vie ! En tout cas, je n'en avais pas le moindre souvenir...

Après avoir marché plusieurs heures dans un désert nu, vide et dérisoire, je fus totalement émerveillé de voir cette muraille de bâtiments en pierre, grands et solides, s'élevant droit devant moi.

N'oublie pas qui tu es [ROMAN]Where stories live. Discover now