Chapitre 3 : L'appel du monde

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Il y a deux choses que maman me répétait avant. Quand Ibrahim était là, quand papa était là, quand nous allions à l'église et à l'école.

Selon elle, c'était les choses les plus importantes au monde.

Il fallait voir le côté positif des choses, et rendre heureux les autres.

Le côté positif, elle l'avait retenu de sa mère et de sa grand-mère. Et rendre heureux, elle l'avait appris de la Bible, et de toutes les religions.

Ce matin, je me levais donc en me disant que tout allait bien. Je me le répétais en boucle et tentait de m'en convaincre.

Malgré les explosions d'hier, nous étions à l'aube d'un matin comme les autres. Il y avait juste quelques êtres en moins, et plus de peine encore. Moi, je me souvenais à nouveau de mon passé d'avant la guerre, et des enseignements de ma mère quand elle était pleine d'ambition.

J'allais saluer ma mère, ma sœur et mon frère. Ces trois-là, ce matin, ils n'étaient pas très beaux à voir. Ma mère, tombée dans sa dépression muette depuis le départ de mon père vers l'armée syrienne, fixait avidement la tige ridicule qui sortait timidement de terre, là où nous avions, auparavant, enterré quelques grains de tomates, dans une bouffée d'espoir douloureuse, à laquelle je ne préfère pas repenser. On aurait dit que cette minuscule pousse de plan de tomate était ce qui représentait le fragile espoir qui lui restait.

Ma sœur Sarah, à côté d'Elias, se reposait sur le sol dur de notre cabane. Son visage pur était de temps à autre perturbé par des convulsions de douleurs : la fillette était malade depuis deux semaines, et malgré les potions que lui préparait ma mère, son état ne s'améliorait pas. C'était une pauvre petite créature souffrante, et n'importe qui, en la voyant ainsi, aurait gravi des montagnes pour pouvoir l'aider.

Mon petit frère Elias, quant à lui, souffrait de la faim. Sa maigreur était triste à voir. Il portait à sa bouche les frêles articulations blanchâtres qu'étaient ses doigts, comme pour se donner l'impression qu'il remplissait celle-ci de nourriture.

C'était enfin un bien triste tableau qui se dressait sous mes yeux. Je me répétais pourtant que tout allait bien. Qu'il fallait rendre heureux.

« Salut ! Vous tirez une sale tête, ce matin, dis donc ! Mal dormi ? » lançais-je alors, essayant de détendre l'atmosphère.

Mais, après avoir reçu pour seule réponse trois regards dénués de vie, je jugeais préférable de ne pas plaisanter ce jour-là. Je me proposais pour aller chercher de l'eau. Cela ferait sûrement plaisir à ma famille.

Je quittais notre piteux domicile pour aller au puits qui se situait à cinq kilomètres de chez nous. La marche allait être longue, mais je ne me plaignais pas. Il fallait que je fasses très attention d'où poser mes pieds. Il y avait sur le sol des morceaux de missiles et de bombes qui étaient encore incandescents.

L'air était mauvais. On aurait dit qu'il y flottait des particules dangereuses et pleines de colère. Il était difficile de trouver du bonheur et du positif dans cette ambiance macabre. On sentait les corps des mourants, ils créaient un vide pesant. Ces corps auraient encore du encore être en mouvement. Ce n'était pas juste.

Je levais mon regard vers le roi du ciel, comme à mon habitude. J'aimais sentir mes yeux brûler sous sa force. Il faisait toujours sa même ronde, contrôlant de haut la situation des êtres auxquels il permettait de vivre.

C'est alors que j'étais ainsi en route, la tête dressée vers des dimensions qui me permettaient d'oublier celle, affreuse, dans laquelle je baignais, que l'Ancien du village m'interpella.

N'oublie pas qui tu es [ROMAN]Where stories live. Discover now