La Morsure Du Temps Qui Ne Passe Pas

70 21 10
                                    

Il se réveilla quelque part.

Il était étalé sur un gigantesque sofa couleur cerise et un bandage rubescent fait de tissus rigide lui enserrait l'épaule où son omoplate était parcourue d'une douleur lancinante. Il ne portait plus son manteau, ni son pull d'ailleurs et avait du mal à se rappeler de ce qui s'était passé.

- Tu es réveillé.

Il sursauta au son de cette voix suave et profonde qui avait presque quelque chose d'inquiétant et tourna frénétiquement la tête, ce qui lui arracha un gémissement sûrement dû à une rigidité prolongée de sa nuque, et d'ailleurs il était là depuis combien de temps ?
Un léger crépuscule environnant était visible à travers une énorme baie vitrée qui donnait sur des sommets enneigés comme il n'en n'avait jamais vu de sa vie, il resta figé, l'espace de quelques secondes, à contempler la féérie majestueuse de ces lieux, il devait se trouver très loin du sol, et même très très loin du sol ; une forêt dense et foisonnante en contrebas ne lui laissait aucun indice sur l'endroit où il devait se trouver et il se sentit étrangement calme.

Un léger bruissement semblable à ce qu'il avait cru entendre près de l'église ramena son attention dans la pièce où il se trouvait et c'est alors qu'il la vit. Une femme à la peau d'ébène et la longue chevelure qui, tel un rideau de velours, encadrait de part et d'autre un visage d'une beauté singulière. Elle était vêtue d'une longe robe écarlate et, pieds nus, s'approchait d'une démarche féline qui semblait au ralentie. Ses yeux ambres, tels deux brasiers, étaient d'une telle intensité qu'ils paraissaient irréels, tout comme elle.

- Bienvenue dans mon humble demeure. Surrura-t-elle.

Nigel se redressa et battit les cils comme pour éliminer toute possibilité d'hallucinations et s'éclaircit la gorge d'un son rauque.

- Qui... êtes vous ?

La jeune femme eût un sourire de Sphinx.

- Mon prénom ne te dira rien qui vaille. Mais vois-tu, moi je sais qui tu es, tu étais censé être ma proie mais... il s'est passé quelque chose de drôle qui a pris le pas sur mon appétit.

Elle pencha la tête un peu de côté comme pour dévisager un spécimen qui sortait de l'ordinaire et Nigel eût une étrange envie ; l'envie de rire, allez savoir pourquoi.

- De quoi s'agit-il ?

- Ton sang est amer. Dit-elle simplement.

Nigel observa attentivement celle qui lui faisait face. Les mythes concernant les créatures surnaturelles ne l'avaient jamais rendu sceptique sans pour autant qu'il désirât s'y approfondir. Il est vrai que depuis quelques temps d'étranges disparitions se faisaient dans la région et il arrivait même que l'on trouvât un cadavre dans les bois dépouillé de tout liquide vital, mais ça n'était pas vraiment parvenue jusqu'à son lointain village au point qu'il puisse s'en inquiéter. Serait-il présentement face à une créature qui se nourrissait du sang de sa victime ?

- Mon sang est amer. Se contenta-t-il de répéter surpris du fait qu'il ne ressentit aucun signe avant coureur d'une horreur imminente.

- Oui amer, je l'ai su dès l'instant où mes crocs se sont enfoncés dans ta chair, près du cèdre et... il y'a autre chose.

Nigel eût du mal à soutenir le regard de la femme tant celui-ci se faisait intense et pour la première fois depuis très longtemps, il sentit son cœur battre la chamade. En un millième de seconde elle disparut pour se retrouver proche de sa nuque et sa voix se fit en murmures tout près de son oreille.

- Tu étais exempt de toutes émotions habituelles qui animent une proie, il n'y avait nulle peur, nulle frayeur, nulle terreur, juste un regard éteint et... du sang amer.

Il Était Une Fois Mon Cœur PalpitantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant