On en rêverait

Chapitre 24

-   Et si je changeais de lycée ? demandé-je en tournoyant ma fourchette dans mes pâtes.

Ma mère s’immobilise. Elle inspire une grande bouffée d’air et hausse ses épaules.

-   Si c’est vraiment ce que tu veux, admet-elle en déposant son assiette pour prendre ma main. Je sais que ça doit être dure chérie, en plus en ce moment avec ton père qui est loin et la reprise des cours.. mais il faut te dire qu’il ne reste que quelques mois.

- J’ai pas envie de le croiser, déclaré-je en sentant une vague de souffrance me submerger.

Elle hoche sa tête et se lève pour tout mettre dans le lave-vaisselle.

-  Écoute.. tu retournes au lycée cette après midi et ce soir tu me dis. La réunion parents-profs est demain, je verrais pour prendre rendez vous avec ton proviseur. On trouvera une excuse pour que tu ailles dans le privé. Ce n'est pas comme si on ne pouvait pas se le permettre.

J’entends ma sœur qui dévale les escaliers. Il est temps pour moi de quitter cette pièce. Je me lève de table et je pique une pomme pour croquer dedans.

-   J’ai entendu parler de privé ? C’est quoi cette histoire ? interroge-t-elle avec une mine enjolée.

-  Rien qui te concerne, asséné-je en souriant avec arrogance.

-   Tu vas quand même pas changer de lycée parce que le grand blond t’a fait bobo au cœur ? rigole-t-elle en me fixant de son regard bleu intrusif.

Je ne peux pas m’en empêcher. Un frisson horrible me parcourt le corps. Je la fusille de mon regard larmoyant et sa bouche se cloue en un éclair de seconde.

-  Pardon Léna, c'était de l'humour, je ne voulais pas…

-  Tais toi ! Apprends à te taire ! vociféré-je en faisant volte face.

Je monte les escaliers en vitesse et je me dirige dans la salle de bain pour me rafraîchir. Je m'enferme à double tour et je passe de l'eau glaciale sur mon visage. Je souffle longuement, accablée par la peine.
Je me maquille légèrement pour ne pas laisser mes yeux rougies, mes cernes dues aux insomnies épouvantables et mon nez irrité révéler mon chagrin insurmontable. Tout du long que je cache mes rougeurs, je fuis ce regard qui me fait tant pitié.
Comment j'ai pu me mettre dans un état pareil ?..

Je décide de partir en avance pour aller au lycée à pied. J’ai besoin de prendre l’air. Je ne peux plus rester enfermée dans cette chambre où tant de larmes ont été versées.
Je descends prendre mon sac à l’entrée et mettre mes vans. J’enfile un long manteau beige et je sors de l’appartement en faisant un signe discret à ma mère.
Laure tente de m’interpeller mais la porte claque avant que le son de sa voix ne m’atteigne.
Je lâche un long soupire qui en dit tant sur mon état. Je mets mes écouteurs et je me mets en route.

Après vingt longues minutes je perçois les grandes portes en fer forgé de mon lycée. Mon estomac se noue durement. J’ai envie de vomir. Ma tête se met à tournoyer. J’enlève un écouteur et je ralentis mon pas.
En ce lundi 6 Janvier, la cantine a eu un problème de fuite, ce qui a contraint la plupart des élèves du lycée qui n’avaient pas apporté leur repas à retourner chez eux.
Je souffle pour faire apparaître devant moi une fumée blanche qui m’amusait quand j’étais petite. Je traverse en prenant soin de veiller à ma sécurité. Je n’en suis pas au point de titiller ma mort même si j’aimerais de tout mon cœur m’extirper le plus loin possible de ce corps meurtri.
Je suis entrain de marcher quand j’entends un claquement de portière et des pas qui courent à moi.
Je presse ma marche et rumine, blasée.