Les Résistants

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« Bonjour les amis, bonjour les copains. Merci d'accueillir le merveilleux, le fabuleux, le miraculeux Jaq ! »

Je me gonfle de fierté et monte sur l'accessoire favori de Cendrillon qui devait autrefois servir à démêler ses cheveux jaunes. Nous avons donné une seconde vie à ce bout de bois flétri. Il nous sert d'estrade à présent. Le recyclage, comme les humains appelleront cette pratique dans quelques siècles.

Je m'éclaircis la gorge.

« Merci mon cher Blossom. Les amis, l'heure est grave. Perla et Mert ont trouvé ce matin un de nos confrères enfermé dans un piège à souris. »

Un murmure de terreur traverse la foule. Je suis ma foi plutôt satisfait de mon effet bien qu'il ne me surprenne en aucune façon, je suis un excellent orateur. Une fois le peuple apaisé, je reprends gravement :

« Malheureusement, ils n'ont pas pu le libérer à temps. Le vil Lucifer est apparu à cet instant. Camarades, nous ne pouvons pas abandonner notre ami à son triste sort.

_ Il faut aller chercher Cendrillon ! s'exclame un écervelé. »

Aussitôt, d'autres lui donnent raison. Force m'est de constater que de toutes les maladies, la stupidité reste la plus contagieuse. Bientôt, l'ensemble de mes confrères est condamné. Le vacarme envahit la pièce. Des cris, des pleurs... La foule s'emballe et je perds le fil. Je tente de comprendre l'instant précis où tout à basculer lorsqu'une blague parvient à mes oreilles : « Comment appelle-t-on un cadeau qui s'en va ? Une surprise partie ! ». Une blague de piètre qualité, révélatrice de la gravité de la situation. L'humour est mort, le troupeau suivra. Seul le remède à la stupidité peut les sauver, à savoir moi.

« Non, réponds-je catégoriquement.

Le vacarme se meurt au son de ma voix.

_ Depuis quand les souris ont-elles besoin d'un humain pour secourir l'un des leurs ? »

Un silence pesant envahit notre refuge à son tour. Persuadé d'avoir finalement acquis leur adhésion et ainsi d'avoir épargné à mes sujets une lente agonie dans les méandres de d'idiotie, je continue :

« Nous devons...

_ Prévenir Cendrillon ! »

Aussitôt, quatre traîtres sortent de la salle. Bientôt suivi par le reste de ce qui fut - et j'insiste, ce qui fut - mes confrères. Il ne reste que Suzy, Mert et ma colère.

« Ne le prend pas mal Jaq... commence Mert désolé.

_ Ce qu'il ne faut pas entendre ! Évidemment que je le prends mal ! Quelle bande d'ingrats, quelle bande d'incapables ! Comment éclairer des esprits aussi simples ? Je vais leur montrer que je vaux mieux que Cendrillon ! Que nous pouvons nous débrouiller sans elle !

_ Il a raison ! C'est elle qui nous pousse à porter des vêtements ridicules, comme si nous étions des êtres humains. Et quelle étroitesse d'esprit ! Ce n'est pas parce que les femelles de son espèce portent des robes que je devrais en faire autant ! Ce n'est pas parce qu'elle a renoncé à ses libertés que je renoncerai aux miennes ! Mes amis, l'heure est à la révolte !

_ Bien parlé Suzy ! »

Mert semble quant-à-lui toujours sur la réserve. Ce qu'il est niais celui-là ! Incapable de prendre des décisions, il attend le museau en cœur que le fromage lui montre la voie.

« Allons-y Jaq, enchaîne ma souris préférée en attrapant ma patte avant droite. »

Jaloux, Mert emprisonne son autre main et nous conduit jusqu'à notre confrère enfermé dans une cage. Je fais la courte échelle à Suzy afin qu'elle déverrouille le piège, sous l'œil terrorisé du captif. Lorsque la porte s'ouvre enfin, j'entre à l'intérieur sans hésiter. J'ai assez de courage pour le partager avec l'autre. Je suis une souris tout aussi brave que généreuse comme vous pouvez le constater.

La révolte des sourisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant