Chapitre 21. La légende

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L'endroit

Le lendemain, Archibald et Ophélie étaient arrivés à la conclusion que le transport en roses des vents était la meilleure solution pour arriver rapidement jusqu'à Titan, l'ancienne arche dirigée par l'esprit de famille Yin. Ophélie l'avait vue une fois à Babel lors de la réunion exceptionnelle des esprits de famille. Il était difficile de ne pas la remarquer car elle était la plus grande de toutes. Ophélie avait voulu partir seule mais Archibald était le seul à connaître les roses des vents et Bérénilde avait demandé à Farouk d'accompagner Archibald qui n'était pas au meilleur de sa forme quoi qu'il en dise. Ils s'arrêtèrent d'abord à Babel pour récupérer Octavio et Forrest. Puis, après avoir traversé une roulotte, un placard à balai dans lequel ils furent particulièrement serrés à cinq, un grenier et un poulailler, ils finirent par pousser la porte d'une grande salle entièrement emplie de fumée. De part et d'autre de la pièce, sur des rangées de bancs en bois, des hommes hagards étaient allongés côte à côte, avec des pipes. Celui qui semblait être le maître des lieux trônait à une table au centre de la salle, jouant avec ses acolytes à une sorte de jeu de dominos aux symboles étranges.

- Une fumerie d'opium, souffla discrètement Archibald à Ophélie, devançant sa question.

Le maître des lieux s'avança vers Archibald avec un large sourire. Il s'inclina en penchant son torse vers l'avant, pratiquement à angle droit. Archibald fit de même et, d'un regard appuyé, incita les autres à l'imiter. Ils s'exécutèrent. Ophélie s'appliqua maladroitement en lançant des regards inquiets aux autres. Puis l'hôte partit d'un grand éclat de rire et fit une accolade à Archibald après avoir reçu une bouteille de liqueur en cadeau de sa part. C'était un petit homme au visage rond et jovial dont les yeux semblaient être deux traits horizontaux. Il arborait une longue moustache noire très fine, assortie d'un filet de barbe qui descendait jusqu'à sa poitrine. Il portait une longue tunique ample richement brodée, par dessus un pantalon.- Mon vieil ami Meng, dit Archibald. Il a accepté de nous présenter à maîtresse Yin et nous servir de guide jusqu'au lac de Dents-du-Dragon.

- Voulez-vous du thé ? demanda Meng, avec un accent haché qu'Ophélie n'avait encore jamais entendu.

- Non merci monsieur, j'aimerais rencontrer ... maîtresse Yin le plus tôt que possible dit Ophélie, avant de se raviser devant le visage contrarié d'Archibald.

Elle ne voulait pas causer un incident diplomatique qui risquait de compromettre la suite des évènements, aussi elle accepta la proposition.

- Heu... volontiers.

Ils s'attablèrent alors au milieu des êtres fantomatiques qui ne se rendaient probablement pas compte de leurs présences et écoutèrent Meng leur parler de son pays. Une ancienne arche rurale, essentiellement tournée vers l'agriculture et le commerce, un "joyau de la nature" selon ses propres termes, que l'esprit de famille cherchait à préserver des influences étrangères. Une terre de paradoxe, où l'on trouvait des paysans très pauvres, et des hauts dignitaires immensément riches, des ascètes pratiquant la méditation et des abonnés des hauts lieux de luxure, de jeu et de d'opium. Yin y était vénérée pour sa sagesse, sa bonté et sa protection. En effet, les somptueux paysages de Titan avaient un caractère instable, comme si toute cette beauté avait un prix. De nombreux volcans menaçait à tout moment d'entrer en éruption et les séismes n'étaient pas rares. Yin, maîtresse de la masse, contrôlait les mouvements d'humeur de la terre. Mais, pour une raison inconnue, depuis ce que Meng appela "la fin de l'ancienne ère", elle souffrait de terribles migraines qui altéraient son pouvoir et compromettaient ainsi la sécurité de tout le pays vis-à-vis des catastrophes naturelles.

- C'est la raison pour laquelle elle a accepté de vous recevoir, dit-il, parce que vous avez des informations qui pourraient l'aider à comprendre ce qui se passe et à y mettre un terme.Ophélie sentit la salive lui manquer tout à coup. Archibald avait-il promis d'apporter une solution à ces problèmes ?

- Absolument ! Vous pouvez nous faire confiance pour apporter un éclairage nouveau à toute cette histoire. Mon amie ici présente, dit Archibald en désignant Ophélie, a été un témoin privilégié des évènements qui ont précédé la fin de l'ancienne ère. Si quelqu'un peut vous apporter des informations capitales, c'est elle.

Ophélie toussa et songea à donner un coup de pied sous la table à Archibald, mais y renonça en pensant qu'avec sa maladresse elle risquait de se tromper et de frapper leur guide.

- Je ferai de mon mieux, modéra-t-elle. Mais nous sommes ici aussi parce que nous avons entendu parler de l'existence d'un lac... un peu particulier.

- Oui, dit Meng, il y a une légende qui existe depuis toujours à Titan. L'histoire dit que quand maîtresse Yin s'unit avec le dénommé Yang, qui est à la fois son ennemi et son amant, alors le ciel et la terre, la nuit et le jour ne font qu'un et la frontière entre les mondes disparaissait. On raconte que des voyageurs sont passés par cette frontière en des temps très anciens, sans jamais revenir, mais la porte par où ils sont passés n'a jamais été trouvée. Et pour cause, pensa Ophélie, elle était dans l'envers. Captivée, elle se demanda pourquoi elle n'avait trouvé nulle part la trace de cette légende.

Meng se leva brusquement de table et cracha sur le sol. Ophélie fut soulagée de constater qu'Archibald ne l'avait pas imité et qu'elle n'était donc pas tenue de faire de même.

- Bien, je vais maintenant vous conduire jusqu'à maîtresse Yin, mais je vous préviens, elle est d'une humeur massacrante à cause de ses migraines et elle a un emploi du temps très chargé.

La dernière partie de la phrase troubla Ophélie. Comment pouvait-elle avoir un emploi du temps chargé si elle était tombée en enfance comme Farouk ? Ils suivirent Meng dans une passerelle couverte qui surplombait le vide et reliait la fumerie aux sous-sols d'un immense palais aux plafonds très hauts, richement décoré de tentures et de tapis aux couleurs chatoyantes. La demeure de Yin fourmillait des allées et venues de dizaines de domestiques et de dames au teint anormalement pâle et aux lèvres rouges, enveloppées dans des étoffes épaisses et larges ceinturées à la taille, avec aux pieds des chaussures anormalement petites. Ils arrivèrent devant une imposante porte jaune sculptée à double battants, devant laquelle étaient disposés deux statues représentant des sortes de monstres mi-lions, mi-chiens et un gong. Meng s'arrêta net.

- Seules les femmes peuvent entrer ici.

- Bien, j'y vais seule, affirma Ophélie.

- Je viens avec toi, la contredit Forrest.

- C'est inutile, je peux me débrouiller.

- Je connais Yang, il est de mon monde, je peux t'aider.

Ophélie hocha la tête et Meng sonna le gong, ce qui provoqua un mouvement de recul généralisé. Personne à part lui ne s'attendait à un son aussi fort. Il leur ouvrit ensuite les portes.

L'exode. Une suite du tome 4 de la passe miroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant