Jour 29

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Je ne vais pas te dire tout ce que tu sais déjà.

Je ne vais pas essayer de te dire « pense à tous ceux qui te restent et qui t'aiment » parce que je sais que tu penses justement à eux à chaque instant, et à ceux-là plus particulièrement. Je sais que tu aimerais d'ailleurs ne plus y penser, qu'ils n'existent plus pour que tu n'aies plus à te préoccuper de ce que tu laisserais derrière toi. Pas grand chose tu penses dans ces moments-là. Trop, tu te dis le reste du temps.

Je ne vais pas te dire de penser à autre chose, de réfléchir à tout ce qu'il y a de beau dans la vie, dans ta vie, parce que je sais que tu ne le peux pas, que le tourbillon t'emporte et que tu ne veux plus qu'une seule chose : qu'il te relâche, de quelque manière que ce soit. Je ne vais pas te dire que ça va finir par passer, parce que tu voudrais que ça s'arrête tout de suite.

Je ne vais pas te dire tous ces trucs bateaux qu'on dit parce que la peur et l'impuissance nous empêchent de réfléchir. Pour être très honnête avec toi, je ne sais même pas ce que je vais te dire. Parce que je suis aussi impuissante que le reste du monde, parce que j'ignore ce qui pourrait chasser le tourbillon de pensées qui mène irrémédiablement à ça.

Je ne vais pas non plus te supplier de ne plus y penser parce que pour l'instant, je n'ai pas peur pour toi. Même si ça faisait longtemps, même si ça n'a jamais été aussi intense et aussi fréquent, dévastateur, suffoquant, je n'ai pas encore peur pour toi. Je suis désolée, dans ces moments-là, de te voir ainsi et de ne rien pouvoir faire. De te voir t'arracher les yeux de larmes, de te voir pousser des hurlements silencieux, de te voir te tordre et te raccrocher de toutes les forces à ce que tu peux, de supplier que ça s'arrête, de vouloir dormir, dormir pour ne pas mourir. Mais tu fuis le sommeil pour te sentir mourir un peu plus. Tu ne veux pas dormir. Tu veux hiberner. Hiberner pour ne plus penser. Et je sais que tu te vois aussi et je sais que ça ne fait qu'empirer les choses. Et moi je te regarde, impuissance.

Je ne vais pas te dire que ça va passer, parce que ça ne va pas passer. Pas demain, pas comme ça, pas magiquement. Mais comme on s'endort sans le savoir avant de s'être réveillé le lendemain, un jour tu iras mieux et tu le réaliseras seulement en regardant derrière toi le chemin parcouru.

Je te dirai de continuer de craindre comme tout le monde la mort, celle dont tu n'as pas tant peur si c'est toi qui la maîtrise. Je te dirai d'arrêter de l'imaginer, de fuir tes habituels rêves éveillés. Je te dirai de continuer de t'accrocher à ce qui est, pas à ce qui pourrait être. Je te dirai que si ça arrivait, ne t'en fais pas, tant bien que mal tu t'en sortirais. Je te dirai que la vie est longue, elle a le droit de prendre plus de temps pour certains. Je te dirai que tu as le droit de ne pas exploiter une journée à cent pourcent, que même si tu t'en fais rien une journée passée reste une journée de vécue, une journée à respirer parler penser écrire rêver. Je te dirai que tu as le droit d'être moins efficace moins organisée moins intelligente moins talentueuse moins créative moins productive que les autres. Je te dirai que tu as le droit d'avoir peur d'avoir des doutes d'avoir des démons d'avoir des pensées. Je te dirai que tu as le droit de ne pas être heureuse, que ça n'est pas réservé qu'aux autres, que tu n'es pas obligée de forcer l'optimisme quand quelqu'un se plaint pour te sentir moins mal. Je te dirai que tu as le droit d'être vide d'être fatiguée d'être lasse d'être démotivée. Je te dirai que tu as le droit d'être toi.

Je te dirai ce que tu as besoin d'entendre, ce que tu aurais voulu entendre plutôt que ce qui a été dit. Je te dirai tout ça parce que je sais ce que tu as besoin d'entendre.

Je te le dirai, je te l'ai dit, mais je sais que tu ne me croiras pas, parce que je nous connais. Mais un jour, un jour je le sais, nous finirons par me croire. Promesse éternelle.

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