Le proviseur se tient de l'autre côté de ma table. On m'a installé dans son bureau pour que je puisse passer les examens tant redoutés. Je n'aurais jamais dû revenir au lycée. À l'E.P., j'ai suivi des cours puisque ça faisait partie du programme des détenus mineurs. Ce ne sont pas tant les examens, qui me posent problème, que la façon dont Meyer me dévisage. À croire qu'il n'a jamais vu un ancien détenu. Son regard va me rendre dingue. Je planche sur le deuxième examen de la matinée. Pour l'instant, je n'ai pas été très brillant, mais je n'ai pas vraiment merdé non plus.
-Fini ? demande Meyer.
Il me reste encore un problème d'algèbre à résoudre, mais avec ce bonhomme figé en face de moi, je n'arrive pas à me concentrer. Il faut que je m'accroche pour éviter de tout rater. Je dois m'appliquer. Malgré le temps qu'il m'a fait perdre, je suis bientôt prêt à passer au contrôle suivant.
-Va déjeuner, Becker, m'ordonne Meyer après avoir récupéré mes feuilles.
Déjeuner ? À la cafétéria, avec la moitié des élèves de l'école ? C'est hors de question, mon gars !
-Je n'ai pas faim.
-Il faut que tu manges. Tu as besoin de nourrir tes neurones.
Qu'entend-il par-là ? que je suis un imbécile ? Arrête ta parano, Caleb ! C'est un des effets indésirables de la prison : on prend l'habitude d'analyser chaque parole et chaque expression comme si les autres nous cherchaient des noises en permanence. Mais ce n'est rien, juste un tic d'ancien taulard. Ah, ah, ah. Je me lève en sachant que derrière la porte, quatre cents élèves attendent d'entrapercevoir le mec qui a fait de la prison. Un nœud vient de surgir dans ma nuque.
-Tu as vingt-cinq minutes ! Il te reste trois autres examens, alors dépêche-toi !
Je pose ma main moite sur la poignée, et je la tourne en rassemblant mon courage. Une fois dans le couloir, je fonce à la cafétéria en m'efforçant d'éviter les regards braqués sur moi. Un café. J'ai besoin d'un café serré et noir. Voilà qui va me calmer les nerfs et me maintenir éveillé tout au long de la journée. Parcourant la salle du regard, je me souviens soudain que le café est interdit aux lycéens. Je suis prêt à parier que les profs cachent une cafetière pleine dans leur salle de repos. Si je volais une tasse, qui le remarquerait ? Est-ce qu'ils appelleraient la police en me traitant de voleur, en plus des autres étiquettes qu'ils m'ont déjà tatouées dans le dos ? J'aperçois ma sœur, assise tout seule.
Avant, elle s'installait avec Maggie et leurs amies. Ensemble, elles passaient leur temps à rigoler et à draguer mes potes. J'ai toujours eu du mal à accepter que ma sœur jumelle craque pour l'un de mes copains, ou qu'elle le colle quand il venait à la maison. Le pire, c'est quand je me suis aperçu que les choses s'inversaient, et que mes amis étaient attirés par ma sœur. L'été dernier, j'ai passé mon temps à menacer mes potes de leur trancher la gorge s'ils la touchaient. J'ai toujours veillé à ce qu'elle soit en sécurité, et à ce que sa réputation soit préservée. Mais c'était avant, il y a un an. Désormais, plus personne ne tourne autour de Leah.
-Salut, petite sœur, dis-je en m'asseyant près d'elle.
-J'ai entendu dire que tu passais tes examens, marmonne-t-elle en enroulant ses cheveux autour de son doigt.
J'éclate de rire.
-J'ai déjà le cerveau en compote, et il m'en reste encore trois.
-Tu penses avoir réussi ?
-Je sais pas.
-On raconte que Morehouse a concocté un examen de sciences sociales que personne ne pourrait réussir.