La dernière nuit

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Effectivement, les professeurs avaient laissé quartier libre à notre classe. C'était la dernière nuit au chalet et pour nous faire plaisir, ils avaient préféré fermer les yeux sur les événements de la soirée. Joséphine était donc partie vers la chambre de son Roméo, la boule au ventre et sans s'arrêter de parler. J'avais presque dû la pousser vers l'extérieur pour qu'elle me laisse enfin tranquille. Aucun doute ne me tiraillait de mon côté.

Il s'agissait de mon amie. Impossible que cela se passe mal.

De mon côté, j'allais passer une nuit banale à lire des mythes et à repenser à des arguments que j'aurais dû prononcer six ans auparavant. J'aimais bien me dire que j'aurais pu être la reine du sarcasme bien plus tôt.

Il était tard et je m'étais endormie quand quelqu'un vint toquer à ma porte. Je me réveillai en sursaut, le cœur battant, et fixai la porte avec de grands yeux. Qui venait me réveiller ? Un peu surprise mais surtout mal lunée, j'attrapai un de mes bâtons de skis et partis ouvrir la porte. On ne savait jamais, peut-être un fou se tenait derrière la séparation de bois.

« - Je peux savoir ce que tu fais ici Jules ? »

Un peu incrédule, j'avais ouvert la porte sur mon voisin de table. Ce dernier avait son oreiller en main et les cheveux en bataille et il fut très surpris en me voyant ainsi armée.

« - Ecoute, je sais que ça va te paraître stupide, mais je peux dormir avec toi ce soir ?

- Quoi ? Non.

- S'il-te-plaît Athy. Je te jure que je ronfle pas en plus !

- Mais je m'en fiche de savoir si tu ronfles ou pas. Il est hors de question que tu dormes dans ma chambre. »

Le jeune homme en face de moi se ratatina et j'eus un léger pincement au cœur. J'étais vraiment franche des fois.

Je jetai un coup d'œil dehors. Ma chambre était la dernière du couloir et la sienne se trouvait vers le début. En reposant mon regard sur Jules, je compris qu'il n'était pas là pour blaguer.

« - Je me trompe en disant que tu as toqué à toute les chambres avant de venir ?

- Non.

- Tu as volé quelque chose ?

- Pardon ? Non !

- Cassé, vandalisé, brûlé un bâtiment ?

- Je ne suis pas-

- Tué quelqu'un ?

- Quoi ? Mais tu rigoles ! s'insurgea-t-il.

- Bon, fis-je sans prendre en compte ses exclamations, je ne vois rien d'autre. »

Jules fronça les sourcils et je me pinçai l'arrête du nez.

« - Allez rentre. Je te préviens, au moindre ronflement je t'étrangle. »

Il sourit et ce simple geste suffit à éclairer son visage. Bon sang, j'étais vraiment mordue.

« - Tu as intérêt à avoir une bonne explication. »

J'étais à présent allongée sur ma partie du lit après avoir bien répété que je me battrais pour avoir plus de couverture. À mes côtés, Jules avait croisé ses bras sous sa tête et fixait le plafond. La lumière chaude de la petite lampe de chevet donnait un aspect doré à ses cheveux et ses traits semblaient pour une fois détendus.

« - Je sais pas si elle sera bonne, mais c'est tout ce que j'ai.

- Alors vas-y, j'ai pas toute la nuit.

- Comme tu voudras. C'est légèrement stupide. J'avais prévu de rien faire ce soir. C'est pas parce qu'on avait quartier libre que j'allais faire un nouveau truc. Tu me connais, pas besoin d'autorisations pour que j'innove.

- Je vois très bien, ris-je doucement sans relever les yeux de mon livre.

- Pas de moqueries ! gloussa-t-il à son tour.

- Jamais voyons, comment pourrais-je.

- On sait jamais. Enfin bref, je reprends. Je suis allé boire un peu et quand je suis revenu à la chambre, il y avait ta copine Joséphine.

- Joséphine ? demandai-je surprise avant de me rappeler que Jules partageait sa chambre avec Matthias.

- T'en connais plusieurs ? Non, alors tu as ta réponse. Matthias m'a clairement fait comprendre de partir alors c'est ce que j'ai fait. J'ai pris mes affaires et je les ai laissés. J'avais pas envie de tenir la chandelle. »

Il y eut un petit moment de silence seulement interrompu par le bruit de nos respirations. La sienne était lente et mesurée, la mienne irrégulière. Comprenez-moi, j'avais le type le plus adorable à mes côtés. Il y avait de quoi.

« - C'est une bonne explication.

- Tu vois ? Tu ne veux jamais me croire ! dit-il avec un petit sourire en coin.

- Ce n'est pas de ma faute si tu inventes toujours des trucs improbables.

- Donc tu reconnais que j'ai un potentiel créatif énorme.

- Si tu le dis. »

Jules frotta ses yeux et je me focalisai sur mon livre. Il ne fallait pas s'affoler. J'étais connue pour être sereine et forte dans n'importe quelle situation et ce n'était pas aujourd'hui que cela allait changer.

« - Tu lis quoi ? »

Les ressorts du lit grincèrent quand il se tourna vers moi.

« - Des mythes grecs et romains. Ce sont des choses que je trouve fantastiques.

- Pourquoi tu n'aimes pas ton prénom alors ?

- Quel est le rapport s'il-te-plaît ? demandai-je en posant mon livre sur la commode et éteignant au passage la lumière.

- Il y en a clairement un. Ton prénom est le même que celui d'une divinité grecque et tu viens de me dire que tu adores cet univers.

- Ce n'est pas parce que j'aime cet univers comme tu le dis si bien que j'apprécie mon prénom.

- C'est dommage. Je le trouve classe moi. En plus ça te rend un peu unique. »

Le noir dissimula mes joues rouges.

« - C'est gentil, Jules.

- Pas de quoi, répondit-il en m'offrant un grand sourire. Je me répète, mais quand on a un si joli prénom, c'est dommage de ne pas vouloir l'entendre. »

Il sembla vouloir engager un geste vers mes cheveux mais se ravisa. Je clignai des yeux. Je devais être si fatiguée que mon cerveau me jouait des tours.

« - Tu as l'air crevée.

- Je le suis.

- On devrait dormir alors, proposa-t-il en réprimant un bâillement.

- Faisons-ça. »

Je lui souris et il fit de même.

« - Bonne nuit Jules, déclarai-je avant de mieux m'emmitoufler dans les couvertures. »

Je commençai à fermer les yeux lorsque je l'entendis murmurer une phrase qui me fit frémir de bonheur.

« - Bonne nuit, Athéna. »

La Théorie des larmes refouléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant