Le cours de maths

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Je déteste le retard et encore plus quand c'est important. Et là, c'était important. Mon professeur de mathématiques avait dix minutes de retard. Quelle honte, c'était quand même lui qui était payé pour faire cours et non nous pour attendre.

Je me tenais bien droite dans le couloir. Il était huit heures du matin, la journée ne pouvait pas mieux commencer. En plus de cet affront, mes si agréables camarades criaient sur tous les toits qu'avec cinq minutes de plus au compteur, ils pourraient partir et sécher la première heure. Je me retins de leur dire que cette règle n'existe pas, que ce n'est qu'un mythe inventé par des élèves désespérés.

Mais pourquoi perdre mon temps à leur expliquer une chose qu'ils ne voudraient jamais comprendre ? Je préférais leur laisser la surprise de l'homme de la vie scolaire qui allait les empêcher de sortir lorsqu'ils souhaiteraient se ruer vers la sortie. Ce serait beaucoup plus marrant.

« - Je parie que tu penses à leur regard dégoûté quand ils vont voir qu'ils doivent rester ici, je me trompe ?

- Moi ? Jamais. »

Joséphine rit doucement et se frotta les yeux. Je constatai avec triomphe que même elle avait du mal à être en forme dès le matin, ce qui était une victoire pour moi. La blonde qui se tenait à mes côtés était toujours en forme, qu'elle ait six contrôles d'affilés ou une chaussette dépareillée avec l'autre. Et tout le monde sait qu'elle déteste les chaussettes dépareillées.

« - La prochaine fois, je parie avec quelqu'un qui ne te connait pas trop. Je suis sûre que je vais finir riche comme ça.

- Tu te rends compte que tu es en train de dire que je suis mesquine ?

- Oui. Et je sais que tu sais que tu le sais.

- Je ne vois pas de quoi tu parles, fis-je en fronçant exagérément les sourcils. Je ne suis pas du tout comme ça.

- Ô grande reine, j'implore ton pardon ! continua-t-elle en joignant ses deux mains. Que ferais-je si j'apprenais t'avoir offensée ? Pourrais-je encore vivre ? »

Sa tirade mélodramatique commença à attirer des regards curieux de nos camarades, qui s'attroupèrent petit à petit autour de nous. Un genoux à terre, elle me regardait avec des yeux de chiens battus et les larmes auraient presque pu me monter aux yeux si je ne la connaissais pas.

« - Je t'ai toujours dit que le club de théâtre était fait pour toi. »

Je l'aidai à se relever et Joséphine laissa échapper un petit ricanement en remettant ses habits en place. Elle me regarda ensuite d'un air qui signifiait " fais attention à ce que tu vas dire ensuite". Je le connaissais par cœur, elle me le sortait souvent. Donc je savais qu'elle ne m'en voudrait pas si je disais exactement ce qu'elle ne voulait pas que je dise. Elle était comme ça Joséphine, assez contradictoire.

« - Et d'ailleurs, tu n'y es pas du tout rentrée parce que je te le conseillais, n'est-ce-pas ?

- Je t'interdis de finir cette phrase, répliqua-t-elle en me donnant une pichenette.

- Je n'oserais jamais. »

Elle haussa les yeux au ciel et je me focalisai à nouveau sur le temps qui filait. Mon prof n'était toujours pas arrivé et je sentais mon humeur se dégrader à toute vitesse. Je m'étais levée joyeuse, déterminée à passer une bonne journée. Alors pourquoi fallait-il que ce stupide professeur fasse tout rater ?

Je ne pus retenir un soufflement de frustration, qui ne passa pas inaperçu. Joséphine me donna une accolade et je relevai les yeux, surprise. Et ce que je vis aggrava mon cas.

« - Ça alors ! Moi qui pensais que la grande Athé-

- Je t'interdis de prononcer mon prénom en entier, Jules. Appelle-moi Athy, comme tout le monde.

- Oui, c'est vrai. Excuse-moi, je n'ai pas encore tous les neurones connectés.

- Pas de soucis, j'ai l'habitude. Tu me veux quoi ? Je suis pas encore censée t'aider pour le moment.

- Ça va, pas besoin de me le rappeler, bougonna-t-il. »

Le fameux Jules se frotta les cheveux et ouvrit la bouche pour la refermer.

« - Bon, je vais te laisser ! reprit-il. Je veux pas te déranger plus, tu m'aides déjà bien assez. »

Et il partit sans demander son reste.

Les yeux ronds comme des soucoupes, ce fut à mon tour d'avoir la bouche ouverte. Que venait-il de se passer ? Pourquoi Jules Maurin, le gars que j'aidais officiellement en maths et illégalement dans toutes les autres matières venait m'adresser la parole ?

« - Ferme la bouche, tu vas gober des mouches, lança Joséphine avec sa délicatesse légendaire. »

Je fis ce qu'elle me dit et clignai fort des yeux, pour les rouvrir sur le profil de mon professeur en retard.

« - Finalement, tu vas pouvoir te rattraper. Ton Roméo n'a pas l'air si affecté que ça. Et puis au moins, t'auras quand même l'occasion de lui parler même si c'est rapide. C'est pas tous les jours qu'on a quinze minutes de maths en moins. »

Puis elle entra en cours, me laissant seule dans le couloir.

La Théorie des larmes refouléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant