La piste noire du mercredi

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J'hésitais à crier comme une possédée ou me cogner la tête contre le sapin le plus proche. Le haut de la piste se présentait et il y avait un léger problème.

« - Matthias, tu es conscient qu'on ne voit pas la suite de la piste là.

- Oui.

- Et tu trouves ça normal ? »

À l'entrée de la piste noire appelée "L'Horrible", je n'en menais pas large. J'avais suivi Jules, Joséphine et Matthias pour ne pas me retrouver seule dans une station qui m'était inconnue. J'avais un bon niveau de ski, une piste noire n'était pas un problème. Mais s'engager dans une pente qui semblait tomber à la verticale ne faisait pas parti de mes plans.

« - Athy, on est déjà trop engagés pour pouvoir remonter, me dit gentiment mon amie.

- Tu as peur, Malte ?

- La ferme. »

Jules pouffa et je levai les yeux au ciel. Malheureusement derrière mon masque, mon geste passa inaperçu.

« - Quand vous voulez, annonça Matthias, perché sur ses skis.

- Je vous préviens : dès que l'on arrive en bas, je vous égorge tous les trois.

- Alors je me dépêche ! s'exclama mon voisin de table en s'élançant rapidement. »

Joséphine le suivit sur son snowboard et bientôt, il ne resta plus que Matthias et moi en haut de la piste.

« - Je suis désolé de t'avoir entraînée là-dedans. Je pensais pas que tu serais si mal.

- Oh ça va, je vais pas en mourir. Et puis c'était l'idée de ton pote, d'ailleurs.

- Jules ? C'est vrai. Mais tu sais, je pense qu'il voulait bien faire. Je le connais, il aurait jamais fait un truc pour te mettre mal à l'aise.

- Si tu le dis. »

Je jetai un regard à la piste et soufflai un bon coup.

« - Bon, il faut y aller.

- Ne t'inquiètes pas Athy, ça va bien se passer. Tu as un super niveau.

- Merci Matthias, répondis-je étonnée de sa sollicitude. Ton ami devrait prendre exemple sur toi.

- Tu sais, je réussirai jamais à le changer ! rit le brun franchement. Allez, j'y vais. »

Mon camarade s'élança à son tour et de nouveau, je me retrouvai seule. Maudissant Jules pour son idée, je tournai mes skis et m'engageai sur L'Horrible.

La piste portait bien son nom. La pente était vraiment impressionnante et il n'y avait pas grand monde. J'entendis quelqu'un sur le télésiège plus haut me lancer des encouragements et je ris sous cape. Il me fallait plus que ça pour me faire peur.

Glissant aisément sur la neige, je me déplaçais avec attention et rattrapai rapidement mon petit groupe qui m'attendait à la moitié de la piste. L'idée de m'arrêter à leurs côtés m'effleura un instant puis je me souvins que c'était à cause d'eux que j'étais ici. Alors en prenant mon air le plus dégagé, je dérapai pour leur envoyer un bon paquet de neige et continuai mon chemin en riant.

Je savais que j'avais piqué l'esprit de compétition de Jules, mais j'étais déjà bien trop loin de lui pour qu'il me rattrape. Confiante, je suivis la piste et en vis enfin la fin. Contente d'être arrivée avant eux et en sachant qu'il y avait très peu de monde dans la pente, je me laissai accélérer légèrement afin de garder le contrôle et souris au contact de l'air frais sur mes joues. Puis j'entendis un petit cri et je m'arrêtai d'un coup.

Un tout petit garçon descendait à toute vitesse la piste, bien trop rapidement pour qu'il puisse se contrôler. Et il arrivait sur moi. Enfin, il me fonçait dessus. L'inévitable se produisit. L'enfant me rentra dedans et le choc me propulsa quelques mètres plus loin. Je sentis mes skis se détacher puis partir plus bas et mes hanches taper le sol avec brutalité. Mon souffle se coupa et ma vue devint brouillée.

Cependant, je me repris bien vite. Même si c'était complètement sa faute et celle de ses parents qui l'avaient laissé venir sur cette noire, ce n'était qu'un enfant et la collision avait dû lui faire sacrément mal.

Je me relevai du mieux que je pus et les jambes tremblantes, je remontai les quelques mètres qui me séparaient de lui. Je pouvais l'entendre pleurer et je pressai le pas, manquant de tomber dans la neige.

« - Eh, ça va ? demandai-je doucement en l'aidant à se remettre doucement dans une bonne position.

- J'ai mal... pleura-t-il plus faiblement.

- Je sais. Ne t'inquiètes pas bonhomme, ça va passer. Ton papa et ta maman vont bientôt arriver et ils prendront bien soin de toi. En attendant, je suis là, continuai-je en le caressant doucement. Mais il faut que tu saches qu'une piste comme ça n'est pas encore pour toi. Elle est beaucoup trop compliquée et dangereuse, même pour un grand garçon de ton âge. »

Je le vis hocher la tête et lui offris un petit sourire. La douleur dans ma hanche s'était propagée dans mon coccyx et je commençais à avoir sacrément mal. En serrant les dents, je relevai les yeux et vis avec soulagement que deux adultes arrivaient affolés, suivis de près par mes trois amis.

Après une dizaine de minutes d'excuses, de skis remontés et encore d'excuses, je pus enfin rechausser et finir la piste. Arrivée à la station, je prévins mes camarades que je rentrai directement. La journée était finie pour moi. Étonnamment, Jules décida de rentrer aussi et c'est en silence que nous revînmes tous deux au chalet.

Je boitais légèrement et la douleur n'était toujours pas partie. J'aurai droit à un magnifique bleu pour le reste de la semaine.

Arrivés près des adultes, mes idées se confirmèrent. J'avais interdiction de retourner sur les pistes pour le reste du séjour. Je m'en doutais et cela ne me posait pas spécialement de problème. J'allais pouvoir consacrer les prochains jours à des activités plus calmes, comme le fameux bain chaud où Joséphine voulait me traîner.

La Théorie des larmes refouléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant