Les Masques

Épisode 10 - J'avance - Part II

Niko s'est montré le plus entreprenant et m'a proposé de prendre un verre en ville en fin d'après-midi. Je dois dire qu'il m'a prise par surprise, mais entre la volonté d'attendre le week-end prochain et l'impatience de vivre quelques émotions fortes tout de suite, ma raison n'a pas fait le poids face à mes pulsions.

Me voici, après un saut en métro, en avance à mon rendez-vous, place Roger Salengro à Toulouse. Elle est imprégnée d'une lueur d'été indien. J'ai proposé ce lieu car il est à la fois relativement fréquenté mais pas trop, plutôt romantique et cosy avec sa forme triangulaire restreinte entourée d'immeubles anciens en brique rose et sa fontaine du XIXème siècle. Il y a un salon de thé chaleureux et propice à la confidence que j'affectionne particulièrement, le Flower's Café. C'est un passage obligé pour faire une pause gustative lorsque je me balade en ville avec mes amis. 

Je suis debout devant la fontaine et j'attends sagement mais avec une certaine anxiété l'arrivée de Niko, le clapotis de la fontaine, d'ordinaire apaisant, accentue cette fois mon appréhension. Je me demande si j'ai pris la bonne décision d'accepter un rendez-vous aussi vite sans connaître ce garçon. Bien sûr, en bonne maniaque du contrôle que je suis, j'ai tout de même vérifié son profil sur Instagram, Facebook et tout autre réseau social me donnant des informations sur lui. Je n'ai rien trouvé d'alarmant et j'ai eu la confirmation que sa photo de profil est semblable aux autres photos de lui sur ses divers profils. 

Vraiment, il n'y a pas de quoi crier au loup, calme-toi, respire et apprécie le moment. Justement, en parlant du loup, le voici qui s'approche. Il est à peine en retard, pas de quoi lui faire une remarque. De toute façon, même avec une heure d'attente je n'oserais le blâmer ou montrer mon incommodité, par timidité.

Il s'approche de moi, mes jambes tremblent mais je ne montre rien. Je tiens mon petit sac devant mon bassin, entre les deux mains. Il me protège, tel un bouclier imaginaire face à l'envahisseur. Mes pieds sont tournés vers l'intérieur. J'ai une vraie posture d'héroïne de manga, réservée à souhait et prête à rougir pour un rien. Il s'adresse à moi. Laisse-le prendre les rênes et tu verras bien.

Nous sommes assis l'un face à l'autre, il a opté pour un gâteau aux fraises et moi pour un thé. Je n'ai pas d'appétit pour autre chose, mon estomac est noué bien que nous commençons à être plus à l'aise. De plus, je ne souhaite pas qu'un chocolat chaud, aussi délicieux soit-il, me mette dans l'embarras au moment d'afficher un sourire tâché de cacao. Chaque détail compte !

Il est plutôt à l'aise, sans toutefois dégager une grande confiance. Il enchaîne les questions et les sujets de conversation assez ordinaires pour briser la glace, ce qui est efficace, cependant j'ai cette impression désagréable d'avoir affaire à un robot rodé. Je ne dois pas être la première et ne serai pas la dernière, c'est d'ores et déjà une certitude. Donne-lui une chance, après tout, nous sommes tous les deux là pour "ça".

Ses mots et son langage corporel ont du mal à me toucher, à pénétrer mon écorce, à m'attendrir. Cette image d'un habitué de la rencontre est tenace et je reste sur mes gardes. Ses multiples anecdotes sur l'application confirment ce sentiment. Je ne veux pas être une énième proie dans son tableau de chasse. Je comprends qu'il s'amuse beaucoup mais n'arrive pas à s'attacher. Tu m'étonnes, le moindre détail qui cloche ou la moindre contrariété dans une relation naissante suffit à le faire passer à la suivante. N'être qu'un profil de plus qu'il teste, évalue puis ignore, est-ce acceptable pour moi ? Certainement pas.

Après une heure à essayer de faire connaissance, nous terminons notre encas. Il s'est rendu compte que je n'étais pas happée par sa personnalité et n'insiste pas pour me revoir.

"On se recontacte à l'occasion", me glisse-t-il mécaniquement, avec une voix tirant vers les aigus en m'embrassant cordialement sur la joue en guise d'au revoir, ou d'à jamais.