Prologue

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J'allume l'hologramme sur lequel les informations quotidiennes sont projetées, et attends quelques secondes avant le début du discours. De ce fameux discours qui va changer ma vie.

Dans les années 20 de ce siècle, notre pays a connu de nombreuses manifestations, et plusieurs catastrophes climatiques comme sanitaires. Il en est tombé dans le chaos. Des années d'anarchies ont suivi ces catastrophes, le gouvernement français a été démantelé. Puis les astres anciens ont pris le pouvoir. Ils ont bâti un mur. Un mur pour séparer les gens socialement pauvres et en mauvaise santé de la haute société. Les habitants du Nord, de Nuderis, de ceux du Sud, de Suderis, dont je fais partie.

La haute société, c'est un bien joli mot pour décrire une société aux allures parfaites qui au final a perdu toute son humanité. Les naissances sont contrôlées, pour garantir un nouveau monde comme ils disent. Un monde complètement parfait, contrôlé, aseptisé.

Le monde n'a jamais connu un si fort contraste. D'un côté, les gens meurent. De faim, de froid, de pauvreté. Et de l'autre, on ne meurt pas mais on ne vit pas pour autant. On fait semblant de vivre. Finalement, il n'est peut-être pas si contrasté que cela, notre monde. Nous sommes tous les deux sans vie, à notre manière.

Enfin... Pour contrôler les naissances, il a été décidé que mille femmes seraient tirées au sort à leur 25 ans, pour être les génitrices de Suderis. Pour avoir la chance d'être mère, là où on l'a interdit aux autres. Les naissances n'ont plus rien d'humains, de beaux, d'amoureux. Autrefois, apparemment, ce n'était pas comme ça. Autrefois, on avait le choix.

Vous l'aurez peut-être compris, aujourd'hui, j'ai 25 ans. Je suis donc inscrit sur la liste sur tirage au sort.

L'émission commence. Ma meilleure amie apparaît à l'écran : Mona. Mona Stalder de son nom complet. On s'est rencontrées à l'école. Elle, son rêve était de contrôler le monde. Et aujourd'hui, elle est présentatrice de télévision, annonçant tous ce qui régit Suderis. Dans un sens, elle a réussi. Moi, ce que je voulais était contrôler mes rêves tout simplement. Finalement, j'ai peut-être réussi aussi. Je ne sais pas. Je n'ai jamais vraiment su je crois.

- Cher peuple de Sudéris, bonjour !

Je murmure presque avec elle ces quelques mots. Elle commence toujours le journal de cette manière-là. Avec sa voix solennelle et parfaitement encadrée qui n'a en réalité rien à voir avec la réalité. Mais j'imagine que c'est normal, que ça aussi ce soit parfaitement maîtrisée.

- Le jour du tirage au sort est arrivé ! continue-t-elle.

Je sais qu'elle pense à moi en prononçant ses mots.

- Je détiens les noms des 1000 femmes ayant la chance d'être les futurs génitrices de notre cité !

Peut-être suis-je dedans ? Je ne sais pas. Mona m'a dit hier que j'étais bien trop chanceuse pour y échapper. Chanceuse, oui. C'est peut-être le mot. Mais au fond de moi, une voix est étouffée. Une voix qui ne demande que liberté. J'ai toujours grandi dans ce monde, celui où chaque élément de notre vie est contrôlé. Mais je crois que je ne m'y fais toujours pas. Même après tant d'années et d'effort de ma chère société.

- Il est l'heure pour toutes les femmes ayant atteint leur vingt-cinquième année d'être éligible au titre de mère ! Ces jeunes femmes auront la chance d'être complètement prises en charge par l'état mais aussi d'emménager dans nos luxueux appartements, avec leur mâle reproducteur attitré. Vous serez désormais les élues et vos enfants l'espoir de Sudéris.

C'est si joliment dit. Si joliment présenté. Quoique le terme de mâle m'irrite un peu les oreilles. Mais ce n'est pas du mensonge pour autant, Mona m'avait déjà raconté comment le processus se passe et cela ressemble à un rêve, il est vrai. Mais je ne peux m'empêcher, au fond de moi, de vouloir un peu plus d'anarchie. De sauvagerie. Pourtant c'est ce qui a détruit notre montre bien avant ma naissance.

- Tous ensemble pour un monde harmonieux, et en paix !

Ça aussi, c'est habituel. Mona finit toujours ses annonces ainsi. Même si en soi, dans le cas présent, elle n'a pas encore annoncé la liste des élues, et donc pas conclu le journal. C'est une belle devise, même si l'harmonie, je la cherche parfois. Souvent.

J'entends ma meilleure amie annoncer qu'il est tant de passer aux noms des futurs mères. Il y en a mille, alors ça va être long. Mais cette année, je suis concernée alors je reste scotchée à chacune de ses syllabes. Si elle savait que c'est bien la première fois, elle me tuerait.

- Noor Warty. Leila Mélane.

Elle prononce chaque nom avec une articulation distinguée, sur le même ton, sans pour autant devenir monotone. Elle est une bonne présentatrice de télévision, et Sudéris l'aime beaucoup. Je suis fière d'elle.

- Rose Ramatié. Elodie Dupont.

Chaque nom me semble être proche de la fin mais en même temps pas si loin du début. J'attends en écoutant attentivement les longues minutes d'énonciation de noms. Le mien n'est toujours pas sorti. Peut-être ne sortira-t-il pas après tout.

Mais quand Mona prononce le dernier nom...

- Et la dernière heureuse élue est Erin Preload.

... je réalise à peine que c'est le mien.

SudérisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant