Chapitre 5 : Procès

107 18 3
                                    

- Tiens le chef de la résistance Nodéris chez moi, c'est un honneur, prononce-t-il un faux sourire aux lèvres.

Mes yeux s'écarquillent. Comment est-ce possible ? Est-ce que ce voyage d'affaire était orchestré pour nous surprendre ? Est-ce qu'il savait déjà depuis plusieurs jours ?

Mes pensées s'arrêtent quand une nouvelle idée me vient : et si c'était la notification de ma grossesse ?

- Embarquez-le, poursuit Harry en s'adressant à ses deux hommes.

Je suis paralysée. Ils avancent vers nous, plaque Félix au sol et mon géniteur s'accroupit à côtés de lui pour lui prononcer à l'oreille ces mots :

- C'est marrant hein ? Je me demandais comment j'allais réagir en te voyant ici. Mais en fait ça va. Emmenez-le.

Les gardes emmènent Félix et moi, je suis toujours immobilisée. Stupéfaite de peur, de douleur. Je ne sais même pas. Je sais juste que bouger m'est impossible et plus que tout, que bouger ne servirait à rien. Félix et moi sommes en train d'assumer les conséquences de nos actes.

Harry s'approche de moi, sa longue veste en cuir orange aussi immonde que lui. Je recule, lève les mains en signe d'abandon. Il m'effraie.

Soudainement il me gifle.

J'ai les mains qui tremblent mais il y place tout de même son cellulaire.

« Félicitations ! Vous êtes enceinte ». C'est ce qu'il y a inscrit dessus. Je viens de conduire Felix droit à la mort, parce que j'ai oublié cette foutue notification.

Harry attrape mon cou.

- Alors maintenant tu vas m'écouter attentivement. Cet enfant c'est le mien t'as compris ? Tu ne vas humilier personne ici, ni ma famille, ni moi.

Il me regarde ses yeux emplis de colères. Il m'immobilise par la terreur, et par sa main m'étranglant juste assez pour avoir mal sans arrêter de respirer.

- Tu vas rester ici jusqu'à nouvel ordre pendant que ton amant se fera exécuter. Et on formera la plus belle famille de Sudéris. Est-ce que j'ai été clair ?

Je ne réponds rien.

- Est-ce que j'ai été clair ?! hurle-t-il.

Je murmure un faible oui craintif. Il semble satisfait :

- Voilà.

Il me lâche et part dans une autre pièce de notre cocon conjugale, tandis que mes yeux se portent à nouveau sur cette notification.

Les larmes me montent.

Je pleure.

Je porte mes mains tremblantes à mon visage.

Et je m'effondre.

Les jours qui suivent se succèdent sans que je ne puisse les compter. Aux informations, peut-être un ou deux jours après tout cet incident, après ma nuit de bonheur et ma matinée de malheur, l'exécution de Félix est annoncée. « Le chef de la résistance Félix Travel a été exécuté » que l'on voit de partout, sur chaque journal, à chaque minute.

C'est un choc. Étonnement pour tout le monde. Du côté de Noderis, la ville vient de mettre en place un « cessez le feu » : la résistance est affaiblie, leur leader est mort. Et du côté de Sudéris, le deuil se fait ressentir également. Les rues sont désertes, la population est triste. Triste d'avoir perdu son plus grand adversaire.

Par ma faute.

Ma vie n'est plus que répétition, douleur, regret. Mona dort avec moi quand il faut me maintenir la tête hors de l'eau. L'infirmière m'applaudit bien trop bruyamment à chaque consultation. Ma première échographie chez le sélectionneur est un choc.

Et puis, petit à petit, larme après larme, nuit après nuit, j'accepte. Je me repose. Finalement, mon ventre grossissant, la seule chose qui me reste de Félix m'occupant, je retrouve calme. Le calme avant la tempête, c'est la sensation que j'en ai.

Un jour de plus allongée sur mon canapé à caresser mon ventre, un message vocal de la grande présentatrice de Suderis résonne dans mon salon :

- Erin c'est Mona.

Elle semble stressée.

- Avant toute chose, je tiens à m'excuser sincèrement de ne pas avoir fait le nécessaire avant. Là je suis en chemin pour t'apporter tous les documents compromettants que j'ai pu trouver sur Harry et tu vas voir, ce n'est pas inintéressant.

Le sentiment qui m'enveloppe est un mélange de soulagement, d'appréhension et de sérénité.

- Je te demande pardon encore une fois, de toute façon j'arrive. Sache deux choses : la première c'est que tu n'es pas toute seule et la deuxième c'est que je t'aime très fort.

Des lames semblent me revenir sans que je ne ressente pour autant le réel besoin de pleurer. Le stress peut-être. Sûrement. Je n'aurai qu'une seule occasion de me débarrasser d'Harry. Si elle rate, les conséquences pourraient être très lourde. Mais ce bébé dans mon ventre, et moi, on mérite mieux qu'un géniteur comme lui.

On aurait mérité Félix.

Mona arrive quelques minutes plus tard chez moi. Elle m'explique tout, me montre tout, planifie tout. Je vais le faire, je vais mettre fin à ce contrat qui nous relie Harry et moi.

Au moment où ce dernier rentre de son travail, Mona part se cacher. La première chose qu'il me dit en rentrant ne fait que confirmer mes pensées :

- Tu t'es lavée non ? C'est bien, je ne serais plus assimilé à une clocharde.

- Tu fermes ta gueule et tu t'assoies, je réponds le plus sèchement que je ne lui ai jamais parlé.

- Je te demande pardon ?

Son regard est noir, mais cette fois je ne m'abaisserai pas devant lui.

Je lui glisse devant lui mon cellulaire, un long texte s'affichant dessus :

- C'est quoi ça ?

- Ça c'est un contrat qui stipule que tu renonce officiellement à être mon géniteur.

Ma voix est calme. Je suis fière de moi.

Il rigole :

- Et puis quoi encore ?

Je ne dis rien sur le moment. Puis Mona arrive :

- Ce qu'elle est en train de te dire c'est que soit tu renonces à elle, soit on diffuse sur toi toutes les informations qu'on a. A savoir par exemple les nombreux détournements financiers de ta célèbre entreprise familiale.

Harry sourit :

- Alors c'est pas mal, mais un truc auquel vous n'avez pas pensé, c'est que personne ne va vous croire. Et oui !

- Et oui c'est vrai, qui va nous croire ? C'est pour ça qu'on a aussi de nombreuses vidéos toi ou on voit très bien ton visage accompagné de jeunes filles, très jeunes filles, trop jeune fille.

Je m'avance vers ma meilleure amie et me place à ses côtés, le regard fixé devant Harry.

- Je comprends pas... murmure-t-il.

- Ou encore, des documents qui nous informent de ta maladie génétique te rendant complètement inéligible

Il nous regarde muet. Et je sais à ce moment-là qu'on a gagné. Que j'ai gagné.

- Tu signes là, je lui dis sans aucune compassion en lui tendant mon cellulaire.

Il obéit.

- Merci.

- On se reverra, dit-il avant de partir.

Mais le plus important c'est qu'il est parti.
Une fois qu'il a passé le pas de la porte, Mona et moi on relâche notre respiration, soulagées. Puis je demande :

- Et maintenant on fait quoi ?

SudérisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant