Chapitre 10

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Je l'ai vu arriver avant même qu'il ne m'ait remarquée.

- Alors tu fais ton sérieux ?

Eliott a sursauté légèrement et s'est tourné vers moi. Froncement de sourcils.

- Je t'ai vu travailler au foyer.

- Ah oui ? En fait je révisais mon contrôle.

- Tu l'as maintenant ?

- Non, non, tout à l'heure.

Nous nous sommes échangés encore trois banalités et il s'est échappé doucement, presque avec réticence. Mais il avait cours et moi aussi.

***

« Rallume ton portable ! » Message parfaitement inutile mais j'aimais bien saturer sa boite de réception.

- A qui t'écris ?

J'ai sursauté. Charlie. J'ai rougi un peu. Elle a fronçé les sourcils.

- Ne me dis pas que... Eliott ?!

- Mais... Non ...

- Je te connais pas cœur, ma pauvre fille. Tu ne sais pas mentir.

- Qu'est-ce que ça peut te faire ?

- Hey! Sois pas aussi agressive !

Je me rendis compte qu'elle avait raison. C'était quoi cette réaction? Je n'avais rien à me reprocher.

- Désolée.

Elle m'a rendue un large sourire, si large que son visage fin paraissait disparaître derrière. Elle souriait avec le même ravissement qu'une enfant le jour de Noël. Je me demandais souvent pourquoi elle m'avait choisie moi plutôt qu'une autre. Qu'avais-je de si particulier face à un ouragan comme elle ? Un jour, elle m'avait dressée la liste de tout ce qu'elle aimait chez moi, en commençant par mes sautes d'humeurs. La liste avait été bien plus longue que ce que j'avais pensé et, à mesure qu'elle énumérait, j'avais l'impression qu'elle parlait d'une autre personne. Mais à présent, j'avais l'impression de me rapprocher de cette personne imaginaire, grâce à elle. Elle faisait ressortir le meilleur de moi. J'aurais aimé être comme elle, débordante d'énergie et de vie. Je voulais être unique en mon genre et faire sourire les gens autour de moi. Je voulais être folle et faire des choses que personne ne faisait. Oui, je voulais être comme elle. Mais pour le moment je me contentais de l'avoir rencontré, c'était déjà ça, et elle m'était indispensable.

Si elle avait été un homme, Charlie et moi aurions vécu une histoire d'amour sublime. Mais certainement pas aussi parfaite que celle que nous étions en train de vivre. Parce que l'amour allait de paire avec la douleur, que les choses étaient toujours bien plus dures. C'était comme ça et nous le savions toutes les deux. J'avais du mal à la cerner parfois et pourtant je la connaissais par cœur. Elle pensait comme personne, agissait comme personne. Et à mesure que je passais du temps avec elle, je me démarquais à mon tour. C'était ça qui me plaisait en elle. Sa liberté. Sa liberté qui déteignait sur moi.

En plus d'être libre, Charlie était forte. Je n'avais jamais connu personne aussi forte qu'elle. Parfois, je la regardais rire et me demandais comme elle arrivait à survivre malgré sa blessure. Parce que je savais que cette putain de blessure était là. Au fond d'elle. Encore brûlante au toucher. Ce jour là, je ne l'avais jamais vu autant pleurer. Je m'étais sentie mourir avec elle. J'avais cru que je ne la reverrais jamais sourire, tel un pâle fantôme complètement détruit. Et puis je me suis soudain souvenue de ce qu'elle m'avait déclaré. Bien après ce jour-là.

« On rit, on joue, on boit, on fume, on se révolte, on s'amuse, on s'envoie en l'air... C'est si bon. Trop bon... Tout ce qui compte pour nous c'est l'instant présent. Tout est là, maintenant. Ce qui nous attend plus tard est encore flou mais ce que nous en voyions ne nous plait pas, alors on aime rêver. On veut changer ce monde en bordel que l'on trouve trop cruel, ou du moins s'y échapper. On ne pense pas à l'avenir parce qu'il n'y en a pas, on traite les adultes de trouillard parce qu'ils ne se bougent pas assez, "l'amour pas la guerre", ce genre de conneries; et on vit. On vit pleinement. Le reste on s'en fou. On ne voit même pas que le temps passe vite et que les lendemains ne cessent d'arriver. Nous profitons. Nous, jeunesse invincible. Jeune et con, comme tous s'amusent à dire et je suis comme tous... Rien ne peut m'atteindre alors je m'amuse. Oui, c'est ce que je fais... Un peu trop peut-être. Il est si utopique de penser comme cela finalement... Parce qu'on en bave. De tout notre être. A vouloir s'échapper de la monotonie et de ce qui nous attend, nous finissons par nous enfermer dans cette folie qui nous accueille avec un sourire. Elle nous prend dans ses bras et ne nous lâche plus. Et nous, aveugles parce que l'on se croit plus fort que tout, nous prenons un certain plaisir à entretenir une relation malsaine et perverse avec elle. Folie. Folie qui nous fait rire à en crever et fondre en larme la seconde d'après. Malsaine et perverse, oui. Mais ceux qui ne la connaisse pas ne sauront jamais ce que signifie ce mot: vivre! La folie, c'est la vie. Et moi je suis vivante. Vivante et folle! N'aie pas honte de ça, car tu l'es aussi. Beaucoup plus que tu ne le crois. »

Voilà c'était ça. Charlie croyait en la vie. Pas en l'Homme. En la vie.

Tous les chemins mènent à tes yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant