Chapitre 15

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J'ai accéléré le pas, bien plus bouleversée que je ne le pensais. Il fallait que je rentre - vite. Je ne voulais pas éclater ici, en plein milieu de la rue. Mes jambes m'ont porté d'une démarche saccagée et rapide. Comme de celles qui ont peur. Le klaxon d'une voiture très proche me fit sursauter. Mon cœur s'est affolé. Pourquoi avais-je soudain si peur? Je me suis retournée. A travers le pare-brise, Charlie. Et sa sœur, Lise. Charlie était en conduite accompagnée depuis quelque temps déjà. Pas comme moi, je n'arrivais pas à avoir mon code.

J'ai séché rapidement mes yeux humides d'un revers de manche. Charlie ne devait pas me voir comme ça. Je devais être forte. Pour elle. Parce que c'était la personne la plus courageuse que je connaissais. Elle en avait bavé bien plus que moi. Je ne devais pas faire ma sentimentale. Je me détestais à cet instant. Je n'avais plus pleuré depuis tellement de temps, pourquoi le devrais-je maintenant? C'était con depuis le début cette histoire. Je m'étais juste laissée emporter par un peu trop de sentimentalisme aujourd'hui. Pourtant je pensais que tout était clair, je m'étais toujours refusée de m'attacher aux gens.

Le klaxon a de nouveau retenti.

Charlie me regardait à travers la vitre, d'un regard interrogateur. J'ai sourit. Oui, j'avais toujours refusé de m'attacher aux gens. Mais pas à elle. C'est fou combien s'attacher comme ça à une personne pouvait être un acte ardu. Mais quelle jouissance lorsqu'on comprends que cette personne nous a aussi reconnu. Qu'elle ne partira pas. Qu'elle sera à nos côtés quoi qu'il arrive.

Je suis montée à l'arrière.

- Bonjour, Lise.

- Salut!

La voiture a démarrée doucement - Charlie était forte au volant. Elle et sa sœur ont reprit leur conversation là où elles l'avaient laissée avant que je ne les ai interrompu. Elles se racontaient les derniers films qu'elles étaient allées voir, riaient de quelques anecdotes, Lise parlait de la fac, Charlie du lycée. Je n'ai pas participé à leur conversation, l'envie me manquait. A un moment, Charlie a croisé mes yeux dans le rétroviseur. Elle a légèrement froncé les sourcils mais n'a rien dit. Elle a encore parlé un instant avec sa sœur. Bon dieu! Ma confusion se voyait autant jusque sur mon visage? J'ai compris ce qu'elle attendait que je lui demande presque automatiquement. Je me suis raclée la gorge.

- Charlie, on peut faire demi-tour?

Elle m'a sourit dans le rétroviseur.

- Tu veux aller au pont?

- Oui.

Au pont. Vite.

Nous sommes descendues à près de deux kilomètres de notre destination. Lise a repris la voiture et Charlie lui a fait un léger signe de main en partant. Sans un mot, nous nous sommes mises en route. On a commencé à marcher toutes les deux. Côte à côte. Nos pas ont suivis une direction qu'ils connaissaient déjà par cœur. Je voulais usé mes pieds, sentir mes converse se resserré trop fort sur mes pieds. Je ne voulais plus que penser à ce qui nous entourait. L'air calme du soir, la fraîcheur de la fin de l'hiver. Les ruelles étroites. Les passades usées des bâtiments si flamboyant, la foule qui se dissipait peu à peu, cet air de convivialité, ces sourires aux coins des rues, ces vieux assis aux cafés, cet étudiant qui pressait le pas une chemise de dessin sous le bras, cette luminosité de fin de journée qui éclaire les briques rouges. Cette ville. Toulouse. J'aimais ça. Je l'avais dans la peau cette grande dame ancrée de toute sa culture. C'est comme si j'étais née que pour vivre dans cette ville. On est passé à côté d'une boulangerie; l'odeur du pain chaud nous a remué les narines. Plus qu'une rue à remonter, et nous arrivions.

J'ai laissé le pont me surprendre, comme toujours. Il se tenait là, face à nous, si fier avec ses six arcades. Notre pont. Le pont Neuf. Avec toute l'importance que nous lui accordons, c'était presque une personne à part entière. Chacun a un lieu comme ça. Un lieu où il se sent plus chez lui que nulle part ailleurs. Malgré les années, je ne me lassais pas de la singularité de cette construction.

On est descendues aux quais de la Daurade, Charlie s'est aussitôt allongée dans l'herbe. Je l'ai imitée. Pendant quelques minutes, nous sommes restées à regarder le soleil descendre vers l'horizon, nous emplissant de la sérénité de l'endroit.

- Alors? Raconte moi ce qui se passe.

Je me sentais plus calme, la tempête était passée et le pont Neuf m'apesait - comme toujours. J'ai pu parler sans grande émotion.

- Eric et moi, c'est fini.

- Comment ça fini?

- Fini. Out. Plus de couple.

- Et comment tu te sens?

- Ecoute, je devrais pas t'emmerder avec ça. C'est naze. Je me vois mal exprimer des sentiments comme ça après que toi et To... Enfin, je pense que...

Quelque chose dans son regard, m'a forcé à me taire.

- Léa, ça n'a rien à voir avec Tom. Tu as le droit d'être malheureuse de temps en temps, même pour des choses qui te semblent futiles! En plus, là, elles ne le sont pas. Arrête de te sentir gênée envers moi; c'est ça qui m'empêchera de vivre, pas ce qui s'est passé.

Je l'ai regardée. Elle était belle, ma Charlie. Plus belle que n'importe quelle fille dans ce monde. Ses cheveux or reflétaient le soleil et ses yeux réussissaient à briller. Mais malgré leur pétillement, ils leur manqueraient à jamais - une dernière lueur - depuis ce jour. Ce jour là. Ce jour où tant de choses ont changé. Ce jour où Charlie a du grandir bien malgré elle. Ce jour-là, oui. Laissez moi vous raconter.

Tous les chemins mènent à tes yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant